
Une mystérieuse entreprise étrangère a longtemps été dans le collimateur du procureur spécial américain Robert Mueller. Mais l’homme qui a enquêté sur une éventuelle collusion entre Trump et la Russie n’a pu obtenir les informations espérées.
C’est l’un des grands points d’interrogation qui demeure après la remise de rapport Mueller concluant à l’absence de collusion entre Donald Trump et la Russie, vendredi 22 mars. Quels sont les secrets d’une mystérieuse entreprise appartenant à un État étranger qui intéressait, pourtant, au plus haut point le procureur spécial américain depuis l’été 2018 ?
Pendant près d’un an, cette entité a utilisé tous les moyens judiciaires possibles pour éviter d’avoir à remettre des documents réclamés par l’équipe de Robert Mueller. L’affaire est même allée devant la Cour suprême, devenant le seul volet de l’enquête dont la plus haute autorité judiciaire américaine a été saisie. Les juges ont finalement donné raison aux enquêteurs qui souhaitaient la collaboration de l'entité, lundi 25 mars. Mais le rapport Muller avait, entre temps, déjà été remis sans que le bureau du procureur puisse étudier les documents. C’est l’un des rares cas où l’homme qui a entendu plus de 500 témoins et émis près de 3 000 assignations à comparaître n’est pas arrivé à ses fins.
Un étage du tribunal bouclé
Ce n’est qu’en décembre 2018, à l’occasion du procès en appel de cette affaire, que les médias américains ont appris qu’une entreprise publique étrangère était dans le collimateur de Robert Mueller. Normal : tout avait été fait, jusque là, pour entourer ce dossier d’un secret absolu.
L’assignation envoyée à l’entreprise mystère en juillet 2018 pour obtenir les documents n’a jamais été rendue publique. Aucune mention du bureau du procureur n’a été faite dans les documents juridiques relatifs à cette affaire jusqu’à la saisine de la cour d’appel fédéral, et "les équipes de Robert Mueller avaient pour consigne de ne même pas dire ‘pas de commentaires’ si des questions au sujet de cette entreprise leur étaient adressées", rapporte le Washington Post. Un culte du secret qui a suscité bien des interrogations.
Les précautions prises lors du procès en appel ont convaincu les médias qu’il s’agissait d’une affaire très sensible. En effet, les autorités ont bouclé le 5e étage du tribunal, où l’affaire était jugée. Elles ont interdit le bâtiment aux journalistes avant l'audience et avaient passé au peigne fin la salle des débats avant l’arrivée des avocats, raconte la chaîne CNN. Le bouton du 5e étage dans les ascenseurs avait même été temporairement désactivé. "Des mesures pour garantir le secret qui sont inhabituelles même pour quelqu’un d’aussi discret que Robert Mueller", s’étonne CNN.
Le jugement en appel, rendu en janvier 2019, a permis d’en apprendre davantage sur cette affaire hors du commun. L’entreprise publique étrangère contestait l’injonction de remettre des documents au motif qu’en tant qu’entité détenue par un pays étranger, elle ne pouvait pas être entraînée dans une procédure criminelle aux États-Unis. Un argument rejeté par les juges à toutes les étapes de la procédure, jusqu’à la Cour suprême. La Cour d’appel a ordonné à cette société de faire parvenir les dossiers au bureau du procureur spécial et l’a condamné à payer 50 000 dollars par jour de retard dans la remise des documents. Trois mois plus tard, lors du verdict rendu par la Cour suprême, l’addition de l’entreprise étrangère avait donc atteint 2 millions de dollars.
Russie ? Pays du Golfe ?
Le mystère autour de l’identité de cette société et, surtout, de la nation dont elle dépend n’a pas encore pu être percé. Les documents juridiques indiquent seulement qu’il s’agit d’une structure publique, ayant des activités sur le sol américain qui a été priée par Robert Muller de remettre des documents relatifs à une "activité à l’étranger ayant eu des répercussions sur le sol américain". De maigres indices qui permettent cependant d’exclure certains suspects comme la Deutsche Bank, ou la banque russe Alfa Bank, deux institutions financières citées à plusieurs reprises en relation avec l’enquête de Robert Mueller, mais qui sont des banques privées.
L’entreprise a aussi une activité aux États-Unis, ce qui exclut plusieurs groupes russes visées par les sanctions économiques américaines, comme la banque Sberbank, lié au "roi russe de l’aluminium" Oleg Deripaska, qui a gravité autour de l'équipe de campagne de Donald Trump.
Mais il pourrait s'agir d'une société d'un autre pays. Le site Politico rappelle opportunément que l’enquête du procureur spécial s’est intéressée aux connections entre l’équipe de campagne de Donald Trump et plusieurs pays du Golfe, qui disposent également de puissantes entreprises publiques implantées aux États-Unis.
La fin de l’enquête de Robert Mueller ne signifie pas pour autant la fin des ennuis pour cette entreprise non-identifiée. Le dossier a été transmis au procureur de Washington, note le Washington Post. Ce dernier peut exiger le versement des pénalités de retard, ou bien la consultation des documents. Surtout, il peut, s'il le souhaite, lever le secret qui entoure ce volet de l’affaire Russe.