
Au Bénin, les deux principaux partis d’opposition ont été écartés des élections législatives. Une situation inédite pour ce pays d’Afrique de l’Ouest pourtant reconnu comme modèle démocratique.
Les députés se sont réunis à l’Assemblée nationale, lundi 18 mars, en session extraordinaire pour trouver une issue à la crise pré-électorale qui prévaut à quelques semaines des législatives du 28 avril. "Le président de l’Assemblée nationale doit faire le point sur les tractations et les différentes propositions des forces politiques pour une sortie de crise", explique Steve Djidénou Kpoton, juriste et analyste politique.
La Commission électorale nationale autonome (Céna) a invalidé le 5 mars les dossiers de candidature de plusieurs partis politiques, dont l’Union sociale libérale (USL) du chef de l’opposition, l’homme d’affaires Sébastien Ajavon exilé en France. Une décision qui a suscité une levée de boucliers au sein de l’opinion publique et de la société civile.
Des milliers de personnes ont manifesté, lundi 11 mars, dans les rues de Cotonou pour réclamer des "élections inclusives". "La classe politique doit se réunir pour décider comment on va s’arranger pour que tout le monde aille aux élections et laisser le peuple s’exprimer pour choisir librement ses représentants", a déclaré à l’AFP Donklam Abalo, porte-parole de l’USL.
"Situation préoccupante"
Selon le délibéré de la Cena, sur sept partis politiques ayant déposé leurs dossiers de candidature, seules deux formations politiques qui soutiennent le président Patrice Talon remplissent les conditions requises par le nouveau code électoral. "Ce seront les premières élections organisées sous le régime de Patrice Talon. Et pour la première fois en 29 ans de démocratie, l’opposition pourrait ne pas participer aux élections législatives. À défaut d’être alarmiste, la situation est préoccupante", estime Steve Djidenou Kpoton, juriste béninois et analyste politique, contacté par France 24.
La Cena reproche aux cinq autres partis politiques écartés des législatives plusieurs irrégularités, dont des doublons dans les listes de candidature, l’absence du quitus fiscal de plusieurs candidats exigé par le nouveau code électoral et celle du certicat de conformité à la nouvelle charte des partis politiques entrée en vigueur en octobre 2018. Ce dernier oblige entre autres les formations politiques à avoir un minimum de 15 membres dans toutes les 77 communes du pays.
Ce dernier document polémique rendu obligatoire par la Cour constitutionnelle en février doit être délivré par le ministère de l’Intérieur. Mais il ne figure ni dans le code électoral, ni dans la loi sur la nouvelle charte des partis politiques. Pourtant, trois partis de l’opposition, dont l’USL de Sébastien Ajavon et les Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE) de l’ancien président Thomas Boni Yayi, se sont vu refuser ce précieux sésame. Ce qui a exarcerbé les tensions.
Il est notamment reproché à l'USL d'avoir un président d'honneur – en l'occurence, Sébastien Ajavon – "condamné à une peine infamante" de vingt ans d'emprisonnement pour trafic de cocaïne en octobre 2018. Ce que conteste toujours l'opposant. Selon l'article 13 de la charte des partis politiques, les dirigeants ou membres d'un parti doivent jouir de leurs droits civiques et politiques et ne pas avoir été condamné à une peine afflictive ou infamante.
Le ministre de l'Intérieur Sacca Lafia reproche aussi au parti de l'ancien président de n'avoir pas signé ses statuts et règlement intérieur. L’opposition crie donc à l’exclusion. Les partis politiques existants disposaient d’une période transitoire de six mois pour se conformer aux nouvelles lois.
"Interprétation personnelle"
"Les partis, pour faire leur mise en conformité, ont déposé des dossiers complets. Le gouvernement, notamment le chef de l’État, a fait une interprétation personnelle et personnalisée de la loi pour trouver des écueils dans les dossiers des partis d’opposition, et donc les empêcher d’avoir leur récépissé pour pouvoir se présenter aux élections législatives prochaines", tempête sur RFI Éric Houndété, premier Vice-président de l’Assemblée nationale et opposant au régime Talon.
Lors d’une rencontre le 6 mars avec la classe politique boycottée par l’opposition, le chef de l’État Patrice Talon, désireux de trouver une sortie de crise, a chargé le bureau de l’Assemblée nationale de faire des propositions pour "corriger le tir". "Le constat est malheureux. Organiser des élections sans aucun parti d’opposition, cela n’honore pas le Bénin. Je ne suis pas à l’aise", a-t-il déclaré.
Pas suffisant pour rassurer l’opposition. "Nous espérons que ce ne soit pas un marché de dupes. La première chose qu’il faut faire, c’est de délivrer le récépissé à tous les partis politiques qui ont satisfait aux exigences essentielles, c’est d’acter la reconnaissance officielle de tous les partis politiques qui en ont fait la demande et qui ont déposé des dossiers au ministère, sans chicanerie", a réagi Éric Houndété.
Les législatives doivent permettre au pouvoir d’obtenir une majorité confortable à l’Assemblée nationale. "Le pouvoir veut disposer d’une majorité confortable. Patrice Talon a tenté par deux fois de réviser la constitution sans succès parce qu’il n’avait pas une majorité qualifiée", explique le juriste. Mais le chef de l’État béninois pourrait bien être aussi sanctionné dans les urnes à cause de ses réformes libérales fortement décriées par les syndicats et une partie de la population.