logo

Un documentaire sur le tabou des règles en Inde récompensé aux Oscars

Le documentaire "Les règles de notre liberté" a reçu dans la nuit de dimanche à lundi l'Oscar du meilleur documentaire court. Le film s’intéresse au tabou des menstruations en Inde, où moins de 12 % des femmes ont accès à des protections adaptées.

"Je n'arrive pas à croire qu'un film sur les menstruations ait gagné un Oscar !". La réalisatrice irano-américaine Rayka Zehtabchi n'a pas caché sa surprise et son émotion dans la nuit de dimanche à lundi 25 février en recevant l'Oscar du meilleur "documentaire court" pour son film "Les règles de notre liberté".

'Period. End of Sentence' wins Best Documentary Short: "You are empowering women from all over the world to fight for menstrual equality" https://t.co/cd43lbssdk #Oscars pic.twitter.com/R0xrgdNS8u

  Hollywood Reporter (@THR) 25 février 2019

Son documentaire de 25 minutes, actuellement disponible sur la plateforme Netflix, s’intéresse en effet au tabou des règles dans l’Inde rurale, où les serviettes hygiéniques sont tellement rares que la plupart des jeunes filles ne savent pas ce que c’est ou en ont, au mieux, entendu parler à la télévision. De fait, moins de 12 % des Indiennes ont accès à des protections hygiéniques. Le sujet est complètement tabou dans le pays au point que selon l'un des protagonistes du documentaire : "Les filles n’en parlent pas à leur mère, les maris n’en parlent pas à leur femme, les amies n’en parlent pas entre elles. C’est le pire tabou de notre pays".

Interrogée par France24, la réalisatrice de "Ask the Sexpert", Vaishali Sinha, consultante pour le documentaire "Les règles de notre liberté" et qui a grandi en Inde, témoigne de l'omerta qui entoure les règles dans son pays d’origine. "Lorsque j’ai eu mes premières règles, je suis brièvement passée par une phase où j’étais trop timide pour demander des serviettes hygiéniques à ma propre mère". Elle confirme n’avoir aucun souvenir de discussion sur le sujet à l’école ou même avec ses copines de classe.

Quand les premières règles riment avec déscolarisation

La force de "Les règles de notre liberté" est de montrer les conséquences d’un tabou qui est loin de se limiter à la seule santé des femmes, lesquelles sont parfois réduites à utiliser des feuilles ou de la sciure de bois. Car au-delà de la question de l’hygiène, c’est également l’éducation des adolescentes qui est en jeu. Dans le documentaire, une femme explique ainsi avoir laissé tomber l’école quelques mois après ses premières règles, faute de protection adaptée et tout simplement d’endroit où se changer dans l’enceinte de son établissement (tous ne disposent pas de toilettes). Une histoire qui n’est pas exceptionnelle : près d’un quart des jeunes indiennes sont contraintes, pour les mêmes raisons, d’abandonner leur scolarité.

Dans le village situé à 60 kilomètres de New Dehli, où a été tourné en grande partie le documentaire, les règles finissent par devenir un vecteur de liberté et d’indépendance : les femmes se mettent à fabriquer à moindre coût leurs propres serviettes hygiéniques grâce à la machine d’Arunachalam Muruganantham, un entrepreneur classé en 2014 par le magazine Time comme l’une des 100 personnes les plus influentes du monde pour cette invention. En vendant le surplus de leur production, certaines femmes gagnent pour la première fois un revenu, et l’une d’elle finance ainsi une formation à l’école de police de New Dehli.

Si le documentaire se concentre sur un village, Vaishali Sinha estime que le tabou des règles ne se limite pas à l’Inde rurale   : "Le patriarcat et ses conséquences sont profonds en Inde.  Les gens ayant grandi dans des villages ou des petites villes amènent aussi leur propre sensibilité. De plus, le niveau d'éducation n'a pas nécessairement amélioré la qualité de vie des jeunes filles et des femmes".

Venir à bout d'un tabou

Pour tenter de briser le tabou, des campagnes et des actions sont de plus en plus fréquentes. En 2015, un fabricant de protections hygiéniques avait ainsi tourné en dérision, dans une publicité, la croyance très répandue dans le pays selon laquelle une femme ayant ses règles et touchant une jarre de cornichons la rendrait impropre à la consommation. Le slogan de la campagne était "Touch the pickle" ("Touche le cornichon").

En mai 2017, la jeune poétesse féministe, Aranya Johar, qui dit rêver d’un monde qui célèbrerait "le seul sang qui coule sans violence" dénonçait, dans une vidéo vue des millions de fois sur YouTube, les réflexions misogynes sur les règles.

Quelques semaines plus tard à New Dehli, des étudiants organisaient une campagne intitulée "Saigner sans peur" pour réclamer l’installation, sur leur campus, de distributeurs automatiques de protections féminines.

Plus récemment, en juillet dernier, le gouvernement indien a renoncé à imposer une taxe de 12 % sur les serviettes hygiéniques, rangées dans la catégorie "produits de luxe" dans le cadre de sa réforme fiscale. Le résultat d’une intense campagne de plus d’un an dénonçant la "Taxe sur le sang" ( #LahuKaLagaan) sur les réseaux sociaux.

Hi @PMOIndia @narendramodi @arunjaitley if I wear it like sindoor, can it be GST exempt pls? #GST #LahukaLagaan pic.twitter.com/b4xHJ2rQP6

  princessconsuela (@romajoshi) 25 mai 2017

Vaishali Sinha se réjouit de toutes ces initiatives, mais estime qu’elles ont aussi leurs limites   : “Les campagnes de sensibilisation sont super et c’est formidable qu’il y ait un débat public et ouvert avec une approche féministe. Néanmoins, je ne pense pas que l'on puisse éviter une discussion sur l'ensemble des problèmes qui, à mon sens, se résolveront grâce à des conversations ouvertes et appropriées à chaque tranche d'âge".