
L'ancien major général chinois Xu Qinxian lors de son procès devant un tribunal militaire en 1990. La captation vidéo de son procès a fuité sur les réseaux sociaux le 25 novembre 2025. © Capture d'écran YouTube
Il est loin d’être aussi connu que le général de Gaulle mais, à sa manière, le major-général chinois Xu Qinxian a démontré qu’un acte d’insubordination militaire était toujours possible face aux ordres criminels d’un pouvoir aux abois. La captation vidéo de l’intégralité de son procès devant un tribunal militaire, publiée sur les réseaux sociaux fin novembre par l'historien Wu Renhua, montre comment le haut gradé déchu, ancien commandant de la 38e armée, assume sa décision de refuser d’appliquer l’ordre instaurant la loi martiale le 20 mai 1989.
Le procès en question s'est tenu en 1990. Les couleurs qui bavent et le grésillement du son replongent aussitôt le spectateur dans cette fin de XXe siècle marquée par la chute des pouvoirs communistes. La Chine est secouée depuis avril 1989 par des manifestations rassemblant étudiants, ouvriers, et intellectuels, qui demandent des réformes démocratiques. Après avoir tergiversé pendant plusieurs semaines, le pouvoir communiste mobilise près de 200 000 soldats et déploie l’armée pour évacuer l’immense place Tiananmen au cœur de Pékin, l’épicentre de la contestation. L’intervention militaire du 4 juin 1989 se solde par un grand nombre de victimes civiles, dont la mémoire est occultée jusqu’à ce jour par les autorités chinoises. Un tabou mémoriel qui explique que le nombre de morts varie de quelques centaines à plusieurs milliers selon les sources.

"Est-il juste d’entrer dans une ville avec des blindés ?"
La vidéo du procès de Xu Qinxian n’a rien d’aussi spectaculaire que les images clés du mouvement pro-démocratie de 1989, comme celles d’un homme seul face à une colonne de tanks ou de la statue représentant la "déesse de la démocratie".
Assis derrière un pupitre en bois, le général déchu est flanqué de plusieurs soldats impassibles qui resteront debout, droits comme des i pendant les six heures du procès. Six longues heures pendant lesquelles Xu Qinxian se fait interroger sur les moindres mots qu’il aurait prononcés au moment où il a refusé l’ordre fatidique.
Le président du tribunal : "Est-il juste d’entrer dans une ville avec des armes et des véhicules blindés ?" Est-ce que vous avez dit cela ?"

L’ancien général regarde vers le plafond, se mord les lèvres, et finit par répondre : "Ça ne ressemble pas exactement à ce que j’ai dit. Je voulais plutôt dire, est-ce qu’il est approprié de résoudre ça par la force…"
Le président du tribunal tonne de nouveau : "Les actions doivent résister au test du temps. L’histoire le prouvera". Est-ce que vous avez dit cela ?"
Xu Qinxian soupire, les yeux fuyants, et répond : "J’ai eu cette pensée, mais je ne me rappelle pas exactement ce que j’ai dit alors".
Le général déchu n’en mène pas large dans cette salle d’audience quasiment vide. La pression s’accumule sur l’accusé, seul face aux autorités militaires de son pays. On est clairement du côté des perdants de l’histoire, où ce genre d’exercice se termine trop souvent avec une balle dans la nuque.
"Contre qui se battre ?"
Cela n’empêche pas Xu Qinxian de calmement argumenter sa position. Le général déchu se rappelle ainsi avoir commencé par demander des "précisions" au moment où il a reçu l’ordre de marcher sur Pékin. Ses supérieurs évoquent des armes légères, mais aussi des mitrailleuses lourdes, des véhicules blindés, des tanks… Face aux demandes du pouvoir, le commandant de la 38e armée comprend rapidement que la répression va tourner au bain de sang. C’est alors qu’il refuse d’endosser l’ordre de ses supérieurs, se mettant en retrait sans toutefois empêcher la transmission des instructions à ses subordonnés.
"J’ai dit qu’il s’agissait d’un mouvement politique de masse et qu’on devrait plutôt utiliser des moyens politiques. Si la force était requise, alors la garnison de police militaire serait suffisante", déclare ainsi Xu Qinxian devant le tribunal militaire.
"J’ai dit que c’était différent de la guerre ou des secours en cas de catastrophe. A la guerre, les lignes sont claires… Ici, les bons et les mauvais sont mélangés. L’armée et le peuple sont mélangés. Comment exécuter les ordres ? Contre qui se battre ? (…) Et qui est responsable si quelque chose de terrible se passe ?", ajoute l'ancien haut gradé.
Âgé de 54 ans au moment de son procès, Xu Qinxian était assurément un fidèle du régime communiste. Né dans une famille paysanne, Xu Qinxian s’est engagé volontairement pendant la guerre de Corée (1950-1953) alors qu’il était encore mineur. Il a gravi tous les échelons jusqu’à prendre le commandement de la 38e armée en 1987. Son refus de mener ses troupes durant la répression du Printemps de Pékin marqua la fin de son ascension : exclu du Parti communiste, il est condamné à cinq ans de prison avant de disparaitre complètement de l’histoire officielle du pays jusqu’à sa mort dans un sanatorium pour anciens officiers en 2021.
La réapparition de Xu Qinxian sur une vieille vidéo datant de 35 ans rappelle que, même si la conscience et la force morale d’un individu isolé ne parvient pas à gripper le système, elle peut continuer à inspirer les générations futures.
