
Alors que les écologistes occupent une place importante dans certains pays européens, ils ne parviennent pas à s’imposer en France. La faute aux origines subversives du mouvement, selon Arthur Nazaret, auteur d’Une histoire de l’écologie politique.
Résultats historiques aux élections régionales en Allemagne, percée lors d’élections locales en Belgique et au Luxembourg, victoire lors de l’élection présidentielle autrichienne : les écologistes ont récemment connu d’importants succès dans certains pays européens. Le contraste est saisissant avec la France où le paysage politique a notamment été marqué depuis l’été 2018 par la démission du ministre de la Transition écologique, Nicolas Hulot, et l’abandon, sous la pression des Gilets jaunes, de l’augmentation de la taxe carbone.
Depuis son apparition sur la scène nationale en 1974 avec la candidature à l’élection présidentielle de René Dumont, l’écologie politique a connu, selon Arthur Nazaret, auteur d'"Une histoire de l’écologie politique" (La Tengo), paru le 6 février, "une victoire culturelle mais une défaite politique".
France 24 : En-dehors de quelques élections européennes ou locales réussies, l’écologie politique n’a pas réussi à s’imposer en France. Pourquoi ?
Arthur Nazaret : Cela tient à des raisons culturelles et structurelles. À l’origine, le mouvement, qui est né dans les années 1970 et s’est structuré autour de la lutte contre le nucléaire, est une écologie de lutte portée par les enfants de mai 1968 et le monde professoral qui s’inquiète pour l’avenir de l’environnement. Il y a un lien fort avec la contre-culture. C’est un mouvement subversif qui n’a aucune intention de se salir les mains en gouvernant car cela signifierait faire des compromis. Peu d’énarques sont d’ailleurs passés chez les Verts et ceux qui s’y sont risqués ont été mal vus en interne. Il y a donc chez eux ce que Cécile Duflot appelait "le complexe du bonzaï" : c’est un parti qui se complaît parfois dans sa petite taille et qui préfère se refermer sur lui-même pour rester pur plutôt que de s’ouvrir.
L’autre problème tient au système politique français. Les mouvements écologistes français et allemand sont nés au même moment et au même endroit, à la frontière franco-allemande, où se situe la centrale nucléaire de Fessenheim. Mais leur développement a été facilité en Allemagne grâce aux élections à la proportionnelle d’une part, et aux règles allemandes de financement des partis d’autre part, plus généreuses que les règles françaises avec les nouveaux partis.
L’écologie politique a réellement décollé en France à la fin des années 1980. Les Verts étaient alors dirigés par Antoine Waechter qui a théorisé la stratégie du "ni droite-ni gauche"…
Pour les écologistes, à partir du moment où ils ont décidé de se lancer franchement dans l’arène politique, l’enjeu a toujours été de s’imposer comme un mouvement en tant que tel. Ils ont souvent filé la métaphore de l’arbre en affirmant qu’ils étaient un arbre à part entière et pas seulement une branche de l’arbre de la gauche, d’où la stratégie du "ni-ni" qui a permis aux Verts de s’affirmer en tant que parti.
Mais le contexte de l’époque a aussi beaucoup aidé : entre la catastrophe de Tchernobyl en 1986, la fin du communisme, la création du Giec en 1988, la nomination de Brice Lalonde au gouvernement de Michel Rocard, Premier ministre qui s’intéressait aux sujets environnementaux, ou la couverture du magazine Time, début 1989, sur "la Terre en danger", beaucoup d’éléments extérieurs ont permis de favoriser l’émergence d’un parti écologiste en France.
Trente ans après, les idées portées par l’écologie politique sont désormais bien installées dans les esprits et tous les partis, en tout cas à gauche, font de l’écologie l’une de leurs priorités. Que manque-t-il ?
C’est tout le paradoxe. On peut dire qu’il y a eu une victoire culturelle car leurs thèmes sont très largement diffusés, mais une défaite politique. L’écologie et la protection de l’environnement reviennent assez haut dans les priorités des Français. Les marches pour le climat mobilisent de nombreux citoyens. La pétition "Notre affaire à tous" a été signée par plus de deux millions de personnes. On voit bien que les idées défendues par l’écologie politique se disséminent partout. Il reste encore un blocage dans leur mise en application politique : le pouvoir comme les Français ne semblent pas encore prêts à franchir le pas quand ils considèrent ce que cela impliquerait en termes de changements de mode de vie.
La tête de liste d'Europe Écologie-Les Verts pour les européennes (26 mai), Yannick Jadot, refuse toute alliance avec les partis de gauche et entend faire cavalier seul. Est-ce le retour de la stratégie du "ni-ni" ?
Cela me paraît davantage être une posture politique car Yannick Jadot a quand même fait alliance avec Benoît Hamon en 2017 – pour la première fois depuis 1974, il n’y avait pas de candidat écolo à la présidentielle – et était en discussion avec Génération.s l’année dernière pour une éventuelle liste commune aux européennes. Historiquement, les européennes sont l’élection la plus favorable aux écologistes et si on en croit les sondages, Europe Écologie-Les Verts pourrait obtenir le plus gros score parmi tous les partis représentant "l’espace écolo". Même s’il dit ne pas s’intéresser à la reconstruction de la gauche, Yannick Jadot pense à l’après. Si les Verts font un bon résultat, le rapport de force leur sera plus favorable pour faire venir les autres sur leurs idées.