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Espagne : les fantômes de la crise économique

Dix ans après la crise qui a ébranlé le pays, lors de l’explosion de la bulle immobilière, notre correspondante a tenté de comprendre ce qui a changé. En une décennie, alors que les Espagnols remettaient en cause leur économie et leur classe politique, un million d'entre eux a fui à l’étranger, en quête d'une vie meilleure, et le bipartisme a explosé. En 2019, si les signaux économiques sont bien meilleurs, l’austérité a laissé des traces et l’emploi s’est précarisé.

Il y a dix ans, l’Espagne était frappée de plein fouet par l’une des crises économiques les plus graves de son histoire. Avec l’explosion de la bulle immobilière, plusieurs pans de l’économie espagnole sont tombés en miettes. Dans le secteur du bâtiment, près de 80 % des entreprises ont fait faillite. Partout, d’immenses projets immobiliers ont été abandonnés par leurs promoteurs, donnant naissance à des quartiers ou des villes "fantômes". Près de la moitié des moins de 25 ans se sont retrouvés au chômage. Dans l’impossibilité de payer leur crédit immobilier, 500 000 familles ont été expulsées de leur domicile.

Renouveau économique et politique

Jugés responsables de cette tragédie économique et sociale, les partis traditionnels – les socialistes du PSOE et les conservateurs du PP – ont été bousculés. La crise a mis fin à des décennies de bipartisme, avec l’émergence de jeunes formations comme Podemos (gauche radicale) ou encore Ciudadanos (centre-droit). "S’il y a une chose sur laquelle tout le monde s’accorde dans ce pays, c’est que l’Espagne avait besoin de se régénérer", affirme Toni Monés, député Ciudadanos de 35 ans.

En 2019, après des années d’austérité, l’économie espagnole a retrouvé des couleurs. L’Espagne est la quatrième puissance économique de la Zone euro et la croissance dépasse les 3 %.

Ces signaux positifs ont incité de nombreux jeunes diplômés, qui s’étaient exilés pendant la crise pour trouver du travail, à revenir. Leur rapatriement, qui contribue au dynamisme économique, est soutenu par un "plan national de retour des talents". Initié par le gouvernement socialiste de Pedro Sanchez, il espère faire revenir le million de personnes ayant quitté l’Espagne depuis 2009.

Ana Gonzalez était de ceux-là. Elle est rentrée il y a un an grâce à l’association "Volvemos" ("Nous rentrons") : “Le gros avantage de mon expérience à l'étranger, c’est que maintenant, je me sens plus à l’aise en anglais, que j’ai une expérience internationale et que j’ai l’habitude de travailler en équipe avec des étrangers", explique cette programmatrice informatique de 28 ans.

Derrière les chiffres, une réalité sociale contrastée

Si le chômage a chuté en Espagne, baissant de moitié en dix ans (15,2 %), il reste le plus haut de la Zone euro, derrière la Grèce (19 %). La réduction du nombre de chômeurs s’est d’ailleurs faite au détriment de la sécurité de l’emploi.

Adoptée en 2012, sous le gouvernement conservateur de Mariano Rajoy, la grande réforme du travail voulait rendre le marché plus flexible et donner plus de poids à la négociation en entreprise. Un succès… qui a entraîné avec lui la chute des salaires et la précarisation des travailleurs. Les premiers touchés ont été les jeunes, cumulant parfois deux emplois ou acceptant de travailler en tant qu’auto-entrepreneurs là où ils auraient normalement dû être salariés.

"Pourtant, l’Espagne n’a jamais eu une jeunesse aussi bien qualifiée et formée qu’aujourd’hui, explique Esteban de Motiloa, économiste espagnol. Le défi, pour ce gouvernement et les gouvernements futurs, c’est de mettre en adéquation les salaires avec les compétences et les talents que nous avons aujourd’hui."

En décembre, le gouvernement socialiste a approuvé par décret une augmentation de 22 % du salaire minimum dès 2019, passant de 858 euros à 1 050 euros brut. Une première étape pour rétablir la confiance entre la classe politique et des citoyens désabusés.

Un reportage de Mélina Huet. Images Rémi Cadoret et Maxime Rousseau. Montage Rémi Cadoret.