Le Kerala est devenu depuis plusieurs semaines le théâtre d'une vive confrontation entre traditionalistes hindous et défenseurs de l’égalité hommes-femmes. Au cœur de la dispute : l’accès à un temple hindou pour les femmes menstruées.
Ce sont des premiers pas historiques. Peu avant l’aube, mercredi 2 janvier, deux femmes ont pu se rendre dans le temple d'Ayyappa à Sabarimala, un des plus sacrés de l'hindouisme, en Inde. Des policiers de l’État du Kerala étaient présents pour assurer leur sécurité pendant la prière, ont précisé les médias locaux.
"Nous ne sommes pas entrées en gravissant les 18 marches sacrées mais en empruntant l'entrée du personnel", a déclaré aux journalistes une des deux femmes, qui restent sous protection de la police.
Le temple perché au milieu d'une colline attire chaque année plus de 100 millions de pèlerins. Mais il est, comme tous les temples hindous, longtemps resté interdit aux femmes menstruées, considérées comme impures. En septembre dernier, la Cour suprême indienne, qui a également dépénalisé l’homosexualité et l’adultère, a décidé de lever cette interdiction.
Depuis, quelques Indiennes ont tenté d'atteindre le sanctuaire mais ont été contraintes de rebrousser chemin en raison de protestations d'hindous hostiles à leurs venues. Pour les traditionnalistes, la présence de femmes âgées de 10 à 50 ans constitue un manque de respect de la divinité du temple, le Lord Ayappa qui a prêté serment de célibat. En octobre, deux femmes ont été attaquées par des jets de pierre alors qu’elles étaient en route vers Sabarimala sous la protection de la police. Elles n’ont finalement pas pu y accéder. En novembre, ce sont 14 femmes, arrivées au pied de la colline après quatre heures de marche, qui ont été stoppées par des manifestants. Les policiers chargés de leur protection ont tenté une médiation sans parvenir à trouver de solution.
Une chaîne humaine de 620 kilomètres
Trois mois après l'ordonnance du tribunal, aucune femme n'avait encore pu prier dans le lieu sacré jusqu'à aujourd'hui. Pour dénoncer cette entrave à la loi, des dizaines de milliers de femmes de différentes régions du Kerala se sont rassemblées, mardi 1er janvier, sur toutes les autoroutes nationales pour former une chaîne humaine longue de 620 kilomètres.
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Down Down Patriarchy and Communalism #WomensWall pic.twitter.com/FtY4o45Chc
Ce que les médias indiens ont appelé le "mur des femmes" a été organisé par le gouvernement de coalition de gauche de l'État de Kerala. Pour que les fonctionnaires et universitaires puissent prendre part à la manifestation, les écoles se sont vu accorder une demi-journée de repos et les examens universitaires ont été retardés, a rapporté l'agence Press Trust of India.
Avant même le début de la marche, les autorités locales avaient annoncé la participation de cinq millions de femmes. Elles étaient trois millions à former une chaîne humaine, selon les organisateurs. "C’est une excellente façon de dire à quel point les femmes sont puissantes et comment nous pouvons nous autonomiser et nous aider les unes les autres", a témoigné à BBC Hindi une jeune manifestante. "Ceux qui veulent prier doivent avoir le droit de prier."
Mais d’autres revendications se cachent derrière cette mobilisation : "Sabarimala n’est pas le problème principal ici aujourd’hui, argue une autre manifestante au média britannique. Je crois à l’égalité entre les femmes et les hommes".
Bras de fer politique
La Cour suprême avait appuyé sa décision sur une pétition qui soulignait que l’interdiction d’accéder au temple pour les femmes menstruées allait à l’encontre de l’égalité hommes-femmes. Un argument jugé peu recevable pour le parti du peuple indien (BJP), la formation du Premier ministre, hindouiste et nationaliste, Narendra Modi, qui y voit surtout une ordonnance "contraire aux valeurs hindoues". Le sujet de discorde est devenu très politique à l’approche des élections générales en Inde prévues en avril et mai 2019. Les opposants du Premier ministre l’accusent de mener une politique pro-hindoue pour courtiser la base de son parti.
Aussitôt que l’entrée des deux femmes a été confirmée par le chef du gouvernement local du Kerala, le président du BJP du Kerala, Sreedharan Pillai, a réagi en appelant à manifester pour dénoncer "une conspiration des dirigeants athées pour détruire les temples hindous".
La police a utilisé des gaz lacrymogènes et des canons à eau pour disperser des manifestants à Thiruvananthapuram, la capitale du Kerala, selon les images des chaînes de télévision. Des manifestations ont eu lieu dans plusieurs autres villes du Kerala, ont rapporté les médias.
Le bras de fer politique devrait se poursuivre ces prochaines semaines. Des recours contre cette ordonnance doivent être examinés par la Cour suprême à partir du 22 janvier.