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"Armée européenne", argument de campagne ou ambition réelle ?

Emmanuel Macron et Angela Merkel ont affirmé en novembre leur souhait de créer une "armée européenne" qui ne dépendrait pas des États-Unis. Mais au-delà des discours, la constitution d’une telle force semble peu réaliste dans une Europe à 27.

Face aux diatribes en 280 signes de Donald Trump sur "l’armée européenne", le couple franco-allemand fait front commun depuis une semaine. Le premier pavé a été jeté par Emmanuel Macron, le 6 novembre, quand il a souligné la nécessité pour l’Europe de "se défendre davantage, seule, sans dépendre seulement des États-Unis". Il a suscité l’ire du président américain, qui a jugé trois jours plus tard que les propos étaient "très insultants", et que l’Europe devait plutôt s’atteler à "payer sa part à l’OTAN".

Angela Merkel est alors venue à la rescousse, le 13 novembre, en prônant devant le Parlement européen de Strasbourg "une vision nous permettant d’arriver un jour à une véritable armée européenne", tout en assurant ne pas menacer l’OTAN. Mercredi enfin, Emmanuel Macron a défendu à nouveau, depuis le porte-avions français Charles de Gaule, la nécessité selon lui d’élaborer une Europe forte et autonome, qui serait l’allié mais pas "le vassal" de Washington, et qui saurait répondre aux menaces contre la sécurité, évoquant le renforcement des capacités militaires russes, chinoises, iraniennes et turques.

LIVE | En direct du porte-avions Charles de Gaulle, je réponds aux questions de @GillesBouleau au 20h de TF1. https://t.co/7OyrcjsrJV

  Emmanuel Macron (@EmmanuelMacron) 14 novembre 2018

Discours mobilisateur

Au-delà des batailles de mots, le retour dans le débat européen du serpent de mer de la défense commune en dit long sur l’état de l’Union. À quelques mois de l'entrée en vigueur du Brexit, à quelques jours du prochain sommet européen et en pleines commémorations de la fin du premier conflit mondial, la France et l’Allemagne entendent montrer que la paix et la stabilité en Europe passeront nécessairement par une politique de défense commune. Ce discours se veut très mobilisateur avant les élections européennes, dans le contexte récent de l’annexion de la Crimée par la Russie, la vague d’attentats qui frappe le Vieux continent, les sanctions contre l’Iran et les discours antimultilatéralisme de Donald Trump.

Les commémorations de l’armistice de 1918 ont offert une fenêtre de tir franco-allemande. "Les réponses aux propos de Donald Trump ont donné un signal de cohésion entre les pays européens", analyse Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).

Pourtant, à l’exception d’un "Conseil de sécurité européen avec présidence tournante" évoqué par Angela Merkel, peu d’éléments concrets ressortent des projets en cours. Une véritable armée européenne, avec des bataillons aux nationalités mixtes, capable d’intervenir sous un commandement unique, semble utopique. On imagine mal 27 pays aux traditions, valeurs et sens du patriotisme différents, envoyer combattre et mourir des soldats sous un même drapeau en terrain étranger.

Plus grande autonomie

"Le vocable ‘armée de la défense’ choisi ces derniers jours est un vocable mobilisateur, alors que les termes utilisés [dans les initiatives européennes de défense actuelles] ne parlent à personne. Mais il n’y aura pas des unités mixtes. On veut dire aux citoyens ce qu’ils veulent entendre, que l’Europe va les protéger, alors que les élections européennes approchent", précise Jean-Pierre Maulny. Et d’expliquer : "Ce que la France et la plupart des pays européens veulent développer, c’est une plus grande autonomie de l’UE en matière de défense, afin que celle-ci puisse déjà assurer les missions inhérentes à la politique de sécurité et de défense commune. Ensuite, effectivement, l’UE a pour volonté d’être moins dépendante des États-Unis [principaux financeurs et fournisseurs en hommes et matériel de l’OTAN], parce qu’elle ne pourra pas compter éternellement sur eux."

En novembre 2017, 23 pays de l’UE se sont engagés pour le développement d’armements et le lancement d’opérations extérieures, jetant les bases de la "Coopération structurée permanente" (CSP) qui doit préfigurer l’Europe de la défense. Mais la CSP aura peu de chance de fonctionner à court terme, car chaque projet nécessite l’aval de l’ensemble de ses pays membres, et nombre d’entre eux, comme la Pologne ou les pays Baltes, dépendent trop de l’armée américaine et de l’OTAN pour se mettre à dos un Donald Trump très susceptible. Mais elle représente ce que l’UE a fait de plus concret, jusqu’à présent, dans sa stratégie de défense commune.

Parallèlement, le Fonds européen de défense, doté de 13 milliards d’euros sur sept ans à partir de 2019, doit permettre de doper la recherche dans le domaine militaire au niveau de l’UE. À terme, il doit permettre de faire émerger un armement commun, sur le modèle du projet franco-allemand de char et d’avion du futur "made in Europe". Pour Jean-Pierre Maulny, ce fonds sera un "formidable incitateur pour faire de la coopération en matière de défense, car l’argent ira aux entreprises européennes. On en espère que tous les pays de l’Union auront un intérêt à acheter européen." De quoi donner tort à la Belgique, qui a préféré fin octobre le F-35 américain au Rafale français ou à l’Eurofighter pour renouveler sa flotte de chasseurs. Emmanuel Macron avait annoncé "regretter" ce choix, qui va selon lui "a contrario des intérêts européens".

Signe d’une énième incompréhension au sein de l’UE, le Premier ministre belge, Charles Michel, avait rétorqué que le choix belge s'inscrivait "à la fois dans le cadre de l'Otan et dans le cadre européen. (…) Pour moi, les États-Unis ne sont pas devenus un ennemi parce que Donald Trump est président. (…) La sécurité pour nos petits-enfants sera liée au maintien et au renforcement d'une double alliance, européenne et transatlantique."

Une double alliance qui ne pourra se faire que si l'Europe parvient à relever le défi de la concrétisation de ses ambitions.