Pour protester contre la disparition du journaliste Jamal Khashoggi, plusieurs grands patrons américains ont refusé de participer au Future Investment Initiative à Riyad. En revanche, les sociétés françaises poursuivent sur leur lancée.
Ce devait être l’évènement à ne pas manquer. Surnommé le "Davos du désert" par ses participants, le Future Investment Initiative (FII) organisé du 23 au 25 octobre à Riyad n'a pas encore commencé qu’il est déjà terni par les désistements de plusieurs partenaires économiques, à l’instar du très médiatique fondateur de Virgin, Richard Branson, des PDG de JP Morgan, de Ford ou encore d’Uber, refroidis par les forts soupçons d’implication de l'Arabie saoudite dans la disparition du journaliste Jamal Khashoggi.
Réfugié aux États-Unis, l’éditorialiste critique du pouvoir saoudien est entré le 2 octobre dans le consulat de son pays à Istanbul pour ne plus réapparaître depuis. Des responsables turcs ont affirmé qu’il y avait été assassiné par des agents saoudiens, ce que la pétromonarchie dément.
Uber et Virgin , les premiers à réagir
"Si ce qui a été rapporté à propos de la disparition du journaliste Jamal Khashoggi est véridique, cela changerait radicalement les perspectives d’affaires de tous les Occidentaux vis-à-vis du gouvernement saoudien", a indiqué Richard Branson, pourtant nommé conseiller au tourisme par l’Arabie saoudite, qui cherche à diversifier son économie. Le milliardaire britannique a aussi décidé de geler tous ses grands projets avec le pays. Le patron d’Uber, Dara Khosrowshahi, dont la compagnie américaine de VTC a bénéficié d’un investissement saoudien hauteur de 3,5 milliards de dollars en 2016, a déclaré quant à lui, qu’il n’ira pas à Riyad "à moins qu’une série de faits considérablement différents n’émerge" sur la disparition de Jamal Khashoggi. Des médias américains partenaires du FII comme le Financial Times, le New York Times, ainsi que le magazine britannique The Economist, se sont eux aussi désengagés.
En revanche, côté français, aucun grand groupe n’a décliné l’invitation. BNP Paribas, la Société Générale, Thales, EDF ou encore AccorHotels sont cités parmi les invités. "Quel manque de courage ! Nous sommes dans une relation d’hypocrisie totale avec l’Arabie saoudite, où l’on veut absolument maintenir à tout prix les relations économiques contractuelles", estime la journaliste spécialiste de l’Arabie saoudite et ancienne correspondante de France 24, Clarence Rodriguez*.
Les désistements : simple effet d'annonce ?
Reste à savoir si les entreprises qui ont annoncé leur désistement le 23 octobre seront réellement absentes. "Il faut se méfier des effets d’annonce. Je ne pense pas que beaucoup d’entre elles se feront carrément porter pâle. Ce qui peut se produire, c’est qu’elles seront représentées, mais à un niveau moindre que leurs dirigeants centraux", pressent Didier Billion, directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris).
Sans compter que Mohamed ben Salmane, le prince héritier, sait utiliser l’arme économique. Les Canadiens l’ont appris à leurs dépens début août. Après des tweets publiés par leur ministère des Affaires étrangères à la suite de l'arrestation de militants pour les droits des femmes, la pétromonarchie a immédiatement annoncé le gel de "toute nouvelle transaction concernant le commerce et les investissements" avec le pays nord-américain.
De nouveaux marchés pour la France
"L'Arabie saoudite est un bon client", rappelle Didier Billion. D’après un rapport au Parlement publié en juillet, Riyad a été entre 2008 et 2017 le deuxième plus gros client de la France en matière d'armements, avec près de 12 milliards d'euros de contrats. N’en déplaise au président français, Emmanuel Macron, qui a déclaré sur France 24 vendredi que l'Arabie saoudite n'était "pas un grand client aujourd'hui de la France dans quelque domaine que ce soit".
Aussi ce forum saoudien ouvre de nouvelles perspectives de contrats pour les Français. D’autant qu’il est la vitrine du pharaonique plan Vision 2030, porté par le prince héritier Mohammed ben Salmane, dit "MBS", avec l’ambition de transformer le premier exportateur mondial de pétrole en géant technologique et touristique. "Le projet Vision 2030 de MBS ouvre de nouveaux marchés d’aménagement du territoire, d’infrastructures ferroviaires comme des métros... Des secteurs dans lesquels les Français disposent de vraies compétences techniques et donc la possibilité de décrocher des contrats. Mais les Saoudiens ne passeront pas de marché avec des pays qui les ont critiqués", analyse Didier Billion.
Toutefois, comme le souligne Clarence Rodriguez, rien n’est garanti. Paris s’est fait devancer plusieurs fois par le passé, comme en 2011 où c’est un consortium espagnol qui a raflé le marché saoudien du TGV Djeddah-La Mecque-Médine à la surprise générale, face au tandem français Alstom-SNCF.
*Clarence Rodriguez, est l’auteure de "L'Arabie saoudite 3.0", dont un chapitre est consacré à Mohamed ben Salmane