logo

Allemagne : les "Électeurs libres", gagnants ignorés en Bavière

Ils veulent plus d'instruction patriotique à l'école, une politique migratoire plus sévère et moins d'avions au départ de Munich. Présentation des "Freie Wähler", le mouvement qui apparaît comme le grand gagnant des élections régionales en Bavière.

Ils sont les gagnants ignorés de l’élection régionale en Bavière du dimanche 14 octobre. Les "Freie Wähler" ("Électeurs libres") sont arrivés, avec plus de 11% des voies, au troisième rang d’une élection qui a mis fin à soixante ans de majorité absolue au Parlement régional pour la CSU, l'allié bavarois ultra-conservateur de la chancelière Angela Merkel au gouvernement.

Cette victoire est largement passé inaperçue, surtout au-delà des frontières allemandes. Les commentateurs ont préféré faire leurs choux gras sur le score historiquement bas de la CSU, de la percée des Verts (arrivés en deuxième position) et de l’entrée au parlement régional des populistes de l’Alternative für Deutschland (AfD).

Anti-partis politiques

Pourtant les "Freie Wähler" pourraient être amenés à former une coalition avec la CSU afin de gouverner la Bavière. Ce parti qui n'en est pas un, sans programme défini, idéologiquement inclassable et dirigé par un fermier au verbe coloré, partagerait alors la direction de l'une des régions les plus riches d'Europe.

Un destin paradoxal pour un mouvement qui, né du constat qu’un parti de masse idéologiquement très marqué peut conduire à la catastrophe nazie, rejette depuis ses débuts le système traditionnel des partis. En 1946, il n’est pas encore question alors de "Freie Wähler", mais d’associations d’électeurs qui se forment un peu partout en Allemagne pour faire triompher l’agenda local sur les considérations régionales ou nationales.

Au fil des années, ces regroupements vont accoucher d’un réseau de "Freie Wähler". Ils revendiquent tous leur liberté politique et refusent de s’organiser en parti centralisé pour pouvoir rester au plus près des revendications locales. Ils apparaissent alors presque comme "des associations de défenseurs des consommateurs ou des citoyens qui se présentent aux élections", écrit la Konrad Adenauer Stiftung (Fondation Konrad Adenauer, un cercle de réflexion proche de la CDU), dans une étude de 2008 consacrée à l’histoire des "Freie Wähler".

Ce mouvement va pâtir, à partir des années 1960-1970, de la popularité croissante de la CDU et du SPD. L’Allemagne reprend goût au jeu politique traditionnel et se désintéresse de ces "électeurs libres". Ils gardent, néanmoins, une certaine influence locale en Bavière, en Saxe ou encore en Bade-Wurtemberg.

Vote de protestation par excellence

Il faut attendre 2008 pour qu’ils reviennent au centre de l’intérêt médiatique avec leur entrée au Parlement… bavarois. Le puissant Land du Sud devient alors le principal champ de bataille des "Freie Wähler". Ils réussissent à capter l’attention des Bavarois, habitués à exprimer leur particularisme régional dans les urnes. Pendant 60 ans, la CSU a bâti son succès en se présentant comme le parti des Bavarois contre l'establishment berlinois. Mais leurs nombreuses participations à des coalitions gouvernementales avec la CDU au niveau national ont brouillé ce message. Les "Freie Wähler" sont apparus comme le vote de protestation par excellence contre les partis établis.

Ils ont constitué, et représentent encore aujourd’hui, "le meilleur rempart contre la montée en puissance de l'AfD en Bavière", juge la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Ils développent un discours tout aussi conservateur que la CSU sans pâtir de la réputation sulfureuse de l’AfD.

Hubert Aiwanger, "le plus Bavarois des Bavarois"

Mais le succès des "Freie Wähler" tient aussi à l'omniprésent Hubert Aiwanger. Ce roi des cumulards (il siège au conseil municipal, au conseil de circonscription et au conseil régional, tout en étant le chef du mouvement en Bavière, son représentant au parlement fédéral et le patron du rassemblement national des "Freie Wähler") est le "plus Bavarois des Bavarois", assure l'hebdomadaire Die Zeit.

Fermier et ingénieur agronome, à l’accent régional chevillé au corps, il improvise tous ses discours. Lorsque les dirigeants de la CSU se déchirent sur leur participation au gouvernement de Merkel, il critique la "qualité médiocre des uniformes des policiers bavarois" ou dénonce le projet de construction d’une troisième piste de décollage à l’aéroport de Munich.

Durant toute la campagne électorale, il est apparu comme le candidat le plus proche des aspirations du Bavarois moyen des campagnes, le cœur de cible traditionnel de la CSU. Il a souvent été taxé de populiste pour son style assumé de candidat du peuple, marchant d’ailleurs sur les plates-bandes de l’AfD avec certaines de ses propositions. Hubert Aiwanger s’est prononcé en faveur d’un durcissement de la politique migratoire, veut que les écoles dispensent davantage de cours d’instruction patriotique et ne manque pas une occasion de critiquer l’Union européenne, qui étoufferait "les pauvres fermiers bavarois".

En outre, dans une référence à peine voilée à l’Alternative für Deutschland, Hubert Aiwanger a présenté, durant toute la campagne, son mouvement comme l’alternative à la CSU, accusée de considérer la Bavière comme sa propriété privée. Mais, comme le rappelle le quotidien munichois Süddeutsche Zeitung, ce sont davantage des différences de styles que de programmes. Les deux mouvements devraient, selon le journal, réussir à s’entendre pour former un gouvernement. À condition de trouver un accord sur la répartition des postes. Hubert Aiwanger a déjà fait connaître ses conditions : il veut trois ministères pour les "Freie Wähler". Cela peut sembler peu, mais pour la CSU, qui n’a jamais eu à partager le pouvoir dans son fief, ce serait une révolution.