logo

Le candidat d'extrême droite Jair Bolsonaro a remporté dimanche le premier tour de la présidentielle brésilienne avec 46 % des voix, tandis que son parti devenait la deuxième force politique du pays. Rencontre avec quelques-uns de ses partisans.

Jour de vote à Rio de Janeiro, dimanche 7  octobre . Depuis 8   heures du matin, la file ne désemplit pas devant le bureau de vote de Rocinha, la plus grande favela d’Amérique latine avec plus de 200   000   habitants. Des centaines de Brésiliens attendent pour accomplir leur devoir électoral. Issus de la classe populaire, beaucoup ont soutenu le Parti des travailleurs (PT) de l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva lors des élections précédentes.

Mais après 13 années de présence du PT au pouvoir et des affaires de corruption qui ont secoué la classe politique brésilienne, le vent semble avoir tourné. Désabusés, nombreux sont ceux qui, quelques minutes avant de passer devant l’urne électronique, ne savent toujours pas pour qui voter. Pour d’autres, la solution est beaucoup plus radicale.

Glauci De Nascimento a toujours voté PT, mais cette fois, son vote ira au candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro.

Pour cette mère de famille qui a vécu et grandi à Rocinha, son vote est dicté par le dépit plus que par la confiance. Glauci, femme noire, a bénéficié des allocations sociales du programme Bolsa Familia et des quotas raciaux pour entrer à l'université, des mesures mises en place pendant les années Lula et auxquelles Jair Bolsonaro est fortement opposé.

Loin de renier les avancées sociales adoptées après l'arrivée au pouvoir de Lula, les récents scandales de corruption ont fait perdre espoir à Glauci. Pour elle, la crise des services publics, notamment de l’éducation et de la santé, sont à imputer au PT.

"Trop de vols, trop de vols", répète-t-elle en secouant la tête en signe de "résignation". Pour elle, Lula ne serait pas innocent et aurait laissé tomber ceux qu’il avait pourtant promis d’aider. Cette déception l’a poussée dans les bras de Jair Bolsonaro. Loin d’être en accord avec tous les propos de l’ancien militaire, elle s’accroche à un petit espoir. Selon elle, il serait capable de réduire la violence grâce à une politique de répression plus dure.

À lire : "Le Brésil divisé entre l'extrême droite de Bolsonaro et l'héritage de Lula"

Avec le trafic de drogue qui gangrène Rocinha, elle vit dans la peur que son fils soit un jour victime de la violence. Le Brésil est le deuxième pays d’Amérique latine avec le plus de victimes par balles perdues.

"C’est tellement violent, je n’en peux plus de voir des enfants avec des armes, j’ai tellement peur qu’il arrive quelque chose à mon fils. Et Jair Bolsonaro propose une répression plus dure contre les délinquants."

Selon elle, trop d’armes circulent dans les rues, et pourtant l’une des mesures phares de Jair Bolsonaro est justement la légalisation du port d’arme. Questionnée sur le sujet, Glauci a un sursaut effrayé. "Je prie pour qu’il ne fasse pas passer cette loi, je ne veux pas que le port d’arme soit légalisé", dit-elle. Mais, comme de nombreux électeurs qui ont perdu espoir dans la politique traditionnelle, elle préfère fermer les yeux sur ce qui la gêne dans le programme de Jair Bolsonaro.

Les partisans du militaire de réserve écartent d’un revers de main ses déclarations les plus polémiques. Comme Glauci, beaucoup de minorités se sont finalement ralliées à sa candidature. Jair Bolsonaro est arrivé en tête avec plus de 50 % des voix dans toutes les zones électorales des favelas de Rio de Janeiro, et ce malgré les nombreux dérapages homophobes, racistes et sexistes du candidat dans les médias. Pour ses électeurs, son programme serait toujours mieux que celui du PT.

Selon Michael Mohallem, spécialiste en sciences politiques à la Fondation Getulio Vargas de Rio de Janeiro, c’est ce qui a permis à Jair Bolsonaro d'engranger les voix. Il a su surfer sur la vague anti-Parti des travailleurs, commencée en 2016 avec la destitution de l'ancienne présidente Dilma Rousseff, en se présentant comme le seul capable de s’opposer au PT.

Le sentiment de devoir sauver leur pays a décomplexé les électeurs de Jair Bolsanaro. Loin de se cacher, la majorité d'entre eux assument fièrement leur engagement, en portant les couleurs du pays devenues signe de ralliement au Parti social libéral.

Des Brésiliens décomplexés

En fin de journée, des centaines de militants sont rassemblés devant le domicile de Jair Bolsonaro, dans le quartier cossu de Barra da Tijuca, la zone ouest de Rio. Ils crient leur fierté d’avoir terrassé le PT dans les urnes. Parmi eux, Marisa, qui n'a déjà plus de voix : elle s'égosille depuis des heures face au grillage du complexe résidentiel de son candidat. Les premières estimations sont tombées et la rendent euphorique.

Marisa a toujours voté à droite, mais à 56   ans, elle vote pour la première fois avec conviction. Voisine d’un pâté de maisons du candidat, elle le considère comme le sauveur de la nation, celui qui va pouvoir redorer un pays à la réputation entachée par des années de crise et de scandales de corruption. Éducatrice dans un collège public, militant pour une réforme de l’école, elle botte en touche quand elle est questionnée sur le programme de Jair Bolsonaro en matière d'éducation. Son credo   : “Ordre et progrès”, la devise du pays.

Dans la marée jaune et verte qui s’est formée face au front de mer, David filme lui en direct la foule en liesse sur Facebook. Ce trentenaire met en avant une autre image du candidat. “Bolsonaro, ce n’est pas une idéologie, c’est un concept de société plus libre. Je crois en un pays libéral, plus digne, plus sûr, avec un marché plus ouvert, pour qu’on puisse retrouver la croissance et redevenir le grand pays que nous sommes.”

Jair Bolsonaro a su accompagner son discours populiste d’une promesse de libéralisation de l’économie et de privatisation des grands groupes publics brésiliens. Un de ses choix les plus stratégiques   : celui de vouloir nommer Paulo Guedes, un économiste libéral, diplômé de l'université de Chicago, dirigeant plusieurs institutions et think tanks, au ministère de l’Économie. Un homme de confiance pour les marchés. Au lendemain du premier tour, la bourse ouvrait avec un bond de 6   %.

La force de Jair Bolsonaro, député depuis 25   ans, est d’avoir su se positionner en candidat anti-système, en marge des partis traditionnels et loin des scandales de corruption.

Comme David, Marisa et Glauci, près de 50   millions de Brésiliens ont choisi la "rupture”. Des militants convaincus aux électeurs désespérés par la classe politique, ils ont tous voulu exprimer leur soif de changement.