logo

Venezuela : Henri Falcon, candidat isolé d'une opposition divisée

Henri Falcon est le seul adversaire de taille à affronter l’actuel chef de l’État, Nicolas Maduro, lors de la présidentielle au Venezuela, le 20 mai. Mais son passé chaviste et ses infidélités partisanes jouent contre lui. Portrait.

Ce qui caractérise la candidature d’Henri Falcon, c’est son isolement. Leader du microparti "Avant-garde progressiste", adoubé par le Mouvement vers le socialisme (MAS), cet ancien avocat n’a pas reçu le soutien des principales forces d’opposition, réunies autour de la Table pour l’unité démocratique (MUD). Celles-ci appellent au boycott de la présidentielle, et ont mal vécu la décision d’Henri Falcon de faire cavalier seul. Il sait que c’est sa faiblesse : tant qu’il n’aura pas une large base derrière lui, ses opposants peuvent lui rétorquer qu’il est un figurant, la simple caution démocratique de Nicolas Maduro, dont il n’empêcherait pas la réélection. Lui prétend sur RFI proposer "un gouvernement d’union et de transition nationale, un gouvernement avec des bases larges, au sein de toute la société". Favorisée toutefois par une bonne exposition médiatique et pouvant compter sur les faveurs de la famille politique de centre-gauche, la candidature Henri Falcon n’est pas sans atout.

Sa solitude politique peut même s’avérer être une force. Le nom d’Henri Falcon est susceptible de ressortir comme le dernier rempart contre la possibilité pour Nicolas Maduro de briguer un nouveau mandat. "J’aimerais bien savoir quelles sont les propositions de ceux qui appellent au boycott : ils n’en ont pas ! Le lendemain du vote, le 21 mai, on reste les bras croisés, on attend de voir qui va résoudre les problèmes du pays ?", s’interroge-t-il sur RFI. "Ceux qui pensent encore que la solution est une intervention militaire, un coup d’Etat se trompent. C’est peut-être la dernière élection démocratique au Venezuela. Et je le dis en toute responsabilité. Il y a des secteurs de l’opposition qui appellent à ne rien faire, à l’aggravation de la crise. Nous appelons à résoudre la crise !"

"Dollarisation" de l’économie

La question économique est cruciale. La réalité d’une économie en lambeaux s’impose au quotidien, dans un pays pourtant riche de ses hydrocarbures : l’inflation atteint des sommets (13 000 % de hausse des prix en un an, selon les chiffres d'avril), les vivres et les médicaments sont toujours rares, et la fuite de la population est massive. L'actuel chef de l'État ne reconnaît pas les faits : Nicolas Maduro, dans un long entretien sur France24, refuse de parler de "chaos", préférant évoquer "l’espoir toujours vif de créer une société alternative au système néo-libéral qui s’impose au monde entier". Le candidat chaviste nie avec persistance toute crise migratoire et dénonce une "campagne de dénigrement". "Les camarades reviennent de l’étranger, ils se rendent compte de la beauté du pays", assure-t-il. Les rapports de l’ONU font pourtant état d’un million de Vénézuéliens ayant fui en Colombie, et estiment à 800 le nombre de citoyens qui tentent chaque jour l’exode au Brésil.

Henri Falcone s’est au contraire saisi de cette réalité et parle crûment de la crise : "les gens pauvres nous montrent tous les jours qu’ils comptent sur nous, ils fondent leur espoir sur une alternative. Tous ces gens veulent un changement, ne plus manger dans les poubelles, ne plus vivre dans l’angoisse sans eau, sans électricité, sans gaz, sans médicament. Les gens ne veulent plus de cette vie, et nous ne voulons pas les décevoir. Que ce soient les autres qui les déçoivent, ceux qui les regardent les bras croisés. (...) Nous, au contraire, ne nous dérobons pas", déclare-t-il sur la radio RFI.

Concrètement, Henri Falcon plaide pour l’introduction du dollar, en parallèle du bolivar vénézuélien. Il appelle cela la "dollarisation" de l’économie. Le billet vert servirait à payer les pensions et les salaires, et à fixer le salaire minimum à 75 dollars (soit le double de son niveau actuel). La privatisation de plusieurs entreprises publiques figure aussi dans son programme, et il n’exclut pas des négociations avec le FMI et la Banque mondiale. Un positionnement ouvert au capitalisme américain, en totale opposition avec les idées de Nicolas Maduro. Pas sûr pour autant qu’il soit suivi par Washington, qui a tout fait pour déligitimer le scrutin, rappelle le site Venezuelanalysis.

Sa manœuvre est risquée

Pourtant, l’adhésion aux idées d’Henri Falcon n’est pas massive. Ses revirements politiques sont régulièrement rappelés par ses détracteurs. Traître aux yeux des chavistes, puisqu’il a quitté le mouvement en 2010, l'avocat âgé de 57 ans n’est pas pour autant accepté comme un ténor de l’opposition. Il rappelle qu’il a fait ses armes en tant que chef de campagne d’Henrique Capriles, défait de justesse face à Maduro lors du scrutin de 2013. Mais son envie de se lancer seul dans la campagne présidentielle, et faire le pari de concentrer les votes du ras-le-bol chaviste, crispe les leaders d’opposition réunis au sein de la MUD. À peine officialisée sa candidature, la MUD l'a accusé sur Twitter de "s'écarter de l'Unité et du sentiment démocratique" et a rappelé : "Nous ne pouvons pas valider un système électoral frauduleux".

"Sa manœuvre est risquée, il va essayer de former un centre politique distinct du chavisme et de l'opposition radicale en cherchant aussi le soutien des ni-ni (les indécis, ndlr)", explique à l'AFP l'expert en communication politique Andrés Cañizalez. Et "cela peut échouer".

Le champ politique, en dehors de Nicolas Maduro est relativement libre : il distance largement ses autres concurrents, que ce soit le pasteur évangélique Javier Bertucci, ou le candidat indépendant Alejandro Ratti. Le rejet d’un gouvernement incapable de rétablir l’économie du pays, auteur de violences contre la population et où les proches de Maduro sont réputés profiter outrageusement des largesses du pouvoir, devrait aider la candidature d’Henri Falcone. À condition que les électeurs des classes populaires et moyennes, longtemps acquises au chavisme et encore méfiantes envers l’opposition, aient l'envie de voter.