L'ancien président brésilien Lula saura mercredi s'il pourra rester en liberté le temps d'épuiser ses recours à sa condamnation pour corruption. Dans l'attente de la décision de la Cour suprême, la société brésilienne est plus polarisée que jamais.
Condamné pour corruption, l'ancien président Luiz Inacio Lula da Silva pourra-t-il rester en liberté pour se défendre et être candidat à la présidentielle d'octobre 2018 ? Au Brésil, la question est brûlante et polarise la société. La Cour suprême (STF) doit trancher mercredi 4 avril.
La session doit débuter à 14 h (17 h GMT) et les onze juges de la STF sont appelés à se prononcer l'un après l'autre, lors d'un vote qui s'annonce particulièrement serré. Dès les premières heures de la matinée, toutes les rues adjacentes du siège de la Cour suprême ont été bloquées.
De lourdes grilles de fer ont été installées pour séparer les manifestants des deux camps, attendus au cours de la journée.
L'armée menaçante
En attendant, pro et anti-Lula comptent leurs troupes. Lundi, les partisans de l'ex-président de 72 ans avaient envahi les rues. Mardi soir, c'était au tour de ses opposants. Plusieurs dizaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues de la plupart des grandes villes brésiliennes, notamment à Sao Paulo et Rio de Janeiro.
Le général Eduardo Villas-Boas, chef de l'armée brésilienne, a publié sur Twitter un message dans lequel il indique que les militaires "partagent le sentiment des Brésiliens qui répudient toute impunité".
Asseguro à Nação que o Exército Brasileiro julga compartilhar o anseio de todos os cidadãos de bem de repúdio à impunidade e de respeito à Constituição, à paz social e à Democracia, bem como se mantém atento às suas missões institucionais.
General Villas Boas (@Gen_VillasBoas) 3 avril 2018Même si elle ne fait pas référence explicite à Lula, cette publication laisse entendre une rare prise de position de l'armée, dans un pays qui vivait encore sous le joug de la dictature militaire (1964-1985) il y a une trentaine d'années. Le ministre de la Défense, Joaquim Silva e Luna, a néanmoins expliqué au journal O Globo que la message du général ne signifiait aucunement l'intention d'un "usage de la force".
Mais ce message a fait écho auprès de Jair Bolsonaro, député d'extrême droite qui figure en deuxième position des intentions de vote derrière Lula, qui a répondu dans un tweet : "Nous sommes avec vous général".
La tension est telle que la présidente du STF, Carmen Lucia, a dû appeler au calme lundi : "Nous vivons un temps d'intolérance et d'intransigeance contre les personnes et les institutions, c'est pourquoi il est temps de réclamer de la sérénité", a affirmé celle qui préside la plus haute juridiction du pays, composée de 11 juges. "Il nous faut de la sérénité pour que les différences idéologiques ne soient pas source de désordre social (...) et en finir avec un contexte de violence."
Veja o pronunciamento da presidente do Supremo, ministra Cármen Lúcia, à TV Justiça, no qual ela pede "serenidade para que as diferenças ideológicas não sejam fonte de desordem social":https://t.co/UXVEtxMz3X
STF (@STF_oficial) 2 avril 2018Un jugement déterminant
La Cour suprême doit juger une demande d'"Habeas corpus" des avocats de Lula visant à lui permettre de rester en liberté jusqu'à ce que tous les recours soient épuisés.
Si la demande est rejetée, l'icône de la gauche sera aux portes de la prison. Dans le cas contraire, la bataille judiciaire pourrait s'étendre des mois durant et Lula resterait libre pour faire campagne, en présentant de nouveaux recours.
En janvier, il avait été condamné en appel à 12 ans et un mois de prison pour avoir accepté un triplex en bord de mer de la part d'une entreprise de BTP impliquée dans le gigantesque scandale autour du groupe public Petrobras. Ce qu'il a toujours farouchement nié, invoquant l'absence de preuves.
Circo Voador, Rio de Janeiro.
Fotos: Ricardo Stuckert pic.twitter.com/zvcLHqsPR6
Une décision de la Cour suprême datant de 2016 stipule que toute peine de prison doit commencer à être purgée dès la condamnation en deuxième instance, ce qui est le cas pour Lula. Mais les 11 juges qui composent la plus haute juridiction du pays restent très partagés sur le sujet, ce qui laisse à l'ex-président une chance d'obtenir gain de cause mercredi.
"Je veux juste que la Cour suprême rende justice"
Entouré de quelque 2 000 partisans à Rio de Janeiro, le 2 avril, Lula a une nouvelle fois défendu son innocence face à la persécution des élites dont il prétend être victime.
"Je veux juste que la Cour suprême rende justice. Je ne veux aucun bénéfice personnel et qu'elle indique quel crime j'ai commis", a-t-il déclaré lors d'un rassemblement pour la démocratie, auquel ont assisté plusieurs parents de la conseillère municipale assassinée, Marielle Franco. "Je ne saurais être victime d'un mensonge et, si ils devaient m'emprisonner, nos rêves resteront libres", a-t-il ajouté.
Dans un Brésil très polarisé, les incertitudes sur le sort de Lula attisent toutes sortes de tensions à six mois de l'élection présidentielle la plus imprévisible de ces dernières décennies. Donné en tête des intentions de vote, celui qui a déjà dirigé le pays, de 2003 à 2010, joue ses dernières cartes.
Une tension politique à son comble
La situation politique est explosive à la veille de ce jugement. Un climat de violences s'est installé dans le pays depuis plusieurs années. Les manifestations sociales sont souvent réprimées de manière agressive.
Le 27 mars, les partisans de Lula ont été directement visés. La caravane électorale que l'ex-chef d'État de gauche avait organisée pour faire campagne et se défendre des accusations a également été touchée par des tirs dans le sud du Brésil. Personne n'avait été blessé dans cette attaque.
La gauche de l'échiquier politique n'est pas en reste. En janvier, Gleisi Hoffmann, présidente du Parti des travailleurs de Lula, avait provoqué une vive polémique en affirmant qu'il faudrait "tuer des gens" pour qu'il soit incarcéré.
Lula condamné pour l'exemple ?
Les magistrats de la Cour suprême sont également mis sous pression par leurs propres confrères. Une pétition signée par plus de 5 000 juges et procureurs a été remise à l'institution, réclamant que la demande d'"Habeas corpus" de Lula soit rejetée. Ils craignent notamment qu'une décision favorable fasse jurisprudence et mine les efforts de lutte anticorruption engagés au Brésil.
"Mercredi, c'est le jour J de la lutte contre la corruption", a publié sur Twitter Deltan Dallagnol, procureur chargé de l'opération "Lavage-Express", enquête tentaculaire qui a déjà conduit des dizaines d'hommes politiques de tous bords sous les verrous. "Une défaite signifierait que la plupart des corrompus ne seront jamais tenus responsables de leurs actes." Il a affirmé qu'il attendrait la décision en priant et en jeûnant.
4ª feira é o dia D da luta contra a corrupção na #LavaJato. Uma derrota significará que a maior parte dos corruptos de diferentes partidos, por todo país, jamais serão responsabilizados, na Lava Jato e além. O cenário não é bom. Estarei em jejum, oração e torcendo pelo país.
Deltan Dallagnol (@deltanmd) 1 avril 2018Lula est loin d'être la seule personnalité de haut rang touchée par l'onde de choc du méga-scandale de corruption. Plusieurs proches du président actuel Michel Temer (centre-droit), qui fait face depuis des mois à de graves accusations, ont été interpellés et libérés par la Cour suprême. Un coup de filet lié à une enquête qui tente d'établir si le chef de l'État a reçu des pots-de-vin en échange d'un décret qui aurait favorisé des entreprises du secteur portuaire.
La présidence a dénoncé des "méthodes totalitaires" pour "détruire la réputation du président Michel Temer", à qui l'on prête des intentions de briguer un nouveau mandat en octobre.
L'an dernier, Michel Temer avait échappé à deux reprises à des mises en examen pour corruption qui l'auraient écarté du pouvoir, le Parlement ayant décidé à chaque fois, à une ample majorité, de maintenir son immunité présidentielle.
Avec AFP