Le Botswana investit dimanche son nouveau président, Mokgweetsi Masisi, après la démission de Ian Khama. Une transition exemplaire, dans ce pays souvent présenté comme "l’exception du continent".
Alors qu’en Égypte, le maréchal Sissi est réélu avec un score soviétique, qu’Idriss Déby s’enracine encore plus au Tchad et que le dialogue avec l’opposition au Togo est au point mort, un discret pays d’Afrique entame une transition politique exemplaire. Le Botswana, frontalier de l’Afrique du Sud et du Zimbabwe, perpétue dimanche 1er avril sa tradition de stabilité démocratique. L’actuel vice-président, Mokgweetsi Masisi, s'apprête à être investi à la tête du pays qu’il dirigera jusqu’aux élections générales de 2019. Jusqu’à aujourd’hui, il était à la tête du Parti démocratique du Botswana, au pouvoir depuis l'indépendance.
Le président Ian Khama, au pouvoir depuis 2008, a démissionné samedi, dix-huit mois avant la fin de son mandat, comme le dicte la Constitution qui limite la durée du pouvoir présidentiel à deux mandats de cinq ans. Le président âgé de 65 ans a conclu mardi 27 mars à Serowe (est) sa tournée d’adieux dans la totalité des 57 circonscriptions du pays. Dans la ville natale de l'artisan de l’indépendance, son père Seretse Khama, il a annoncé qu’il quittait la vie publique. "J’étais un soldat, je n’avais aucun intérêt à entrer en politique", a-t-il déclaré aux milliers de personnes de la cour traditionnelle massées devant lui. Cet ancien pilote de l’armée de l’air a affirmé que son prédécesseur Festus Mogae avait dû le persuader de le remplacer en 2008
La république d’Afrique australe, grande comme la France mais 30 fois moins peuplée (2,2 millions d’habitants), jouit d’une bonne gouvernance depuis son indépendance du Royaume-Uni, en 1966. Festus Mogae avait lui aussi démissionné en 2008, après 10 ans de règne, comme son prédécesseur avant lui, jusqu’à Seretse Khama, décédé en 1980.
Troisième producteur mondial de diamants
Pays le moins corrompu du continent, devant l’Espagne et l’Italie, avec l’une des économies les plus prospères, le Botswana est souvent présenté comme un "miracle africain". La richesse de son sol, qui fait de lui le troisième producteur mondial de diamants, lui a permis d’avoir une croissance annuelle moyenne de 9 % entre 1970 et 2000 et de sortir en 1994 du groupe des pays les moins avancés (PMA).
Contrairement au Nigeria, l’Angola ou la République démocratique du Congo, le "pays des Tswanas" n’a pas succombé à la "malédiction des matières premières" qui a déstabilisé tant de pays africains. Conscient que les diamants ne sont pas éternels, le Botswana a créé en 1994 un fonds souverain, le Pula fund, qui investit les revenus de l’industrie diamantifère pour les générations futures. Le pays tente aussi de diversifier son économie, notamment à travers l’exportation de viande bovine et le tourisme de luxe. Cette dernière activité, qui doit s’élargir à une clientèle de classe moyenne, emploie plus de 200 000 personnes.
Sous la présidence d’Ian Khama, le Botswana s’est illustré comme modèle africain de la protection de l’environnement, salué par les ONG. Le pays, particulièrement riche en faune sauvage, applique une "tolérance zéro" pour les crimes contre l’environnement et est le seul véritable sanctuaire du continent pour les éléphants. "Si nous ne prenons pas soin de l’espèce, qui va le faire ? Nous sommes leur voix", affirmait en 2015 le ministre de l’Environnement et du Tourisme Tshekedi Khama II, frère du président démissionnaire.
Le 16 mars, Ian Khama avait aussi fustigé la décision des États-Unis d’autoriser l’importation de trophées de chasse. "Je pense que cette administration sape nos efforts et encourage aussi le braconnage, car elle sait que nos lois interdisent la chasse au Botswana [depuis 2014]", avait-il lancé.
Président moralisateur
Le franc-parler d’Ian Khama n'a pas épargné ses homologues africains dont le Congolais Joseph Kabila, qui refuse de quitter le pouvoir alors que son mandat a expiré en décembre 2016. "Nous continuons d'assister à une crise humanitaire qui empire dans ce pays principalement parce que son dirigeant a sans cesse repoussé la tenue d'élections", alertait un communiqué officiel de Gaborone le 26 février 2018. Le président sortant avait aussi réclamé en novembre 2017 le départ du Zimbabwéen Robert Mugabe, au pouvoir depuis 29 ans, affirmant que "personne ne devrait rester président pendant une si longue période. (…) Nous sommes des présidents, nous ne sommes pas des monarques. C’est simplement du bons sens".
"Sur le plan international, il se présente volontiers en leader moral de la région, en exemple de président qui respecte les lois et les coutumes en démissionnant et se permet d'inviter les présidents Kabila et Mugabe à respecter la démocratie et l'État de droit", note l'analyste Matteo Vidiri, du cabinet BMI Research, à l’AFP.
Fortes inégalités
Stable, riche et modèle de réussite en matière de développement, le Botswana fait néanmoins face ces dernières années à la baisse des cours mondiaux du diamant dont il est encore trop dépendant. Officiellement, 17,8 % de la population est au chômage, malgré des dépenses en faveur de l’éducation parmi les plus élevées de la planète. La rente diamantaire ne profite pas à tout le monde : en 2010, 19 % des Botswanais vivaient encore sous le seuil de pauvreté et 30 % à peine au-dessus.
En conséquence, selon un rapport de la Banque mondiale d’octobre 2017, "l'inégalité des revenus au Botswana est l'une des plus élevées au monde". "Le modèle économique actuel a généré une forte dépendance envers l’État (en tant que principal investisseur et employeur), et a peu investi dans l’industrie manufacturière ou les services à valeur ajoutée. Surtout, il n’a pas facilité la création d’emplois par le secteur privé, ce qui a exacerbé les inégalités."
Ses adversaires politiques vont jusqu'à reprocher à Ian Khama d'avoir favorisé une société de "mendiants". "Il a tué l'esprit d'autonomie en créant une dépendance à l'aumône", regrette Kesitegile Gobotswang, le vice-président du Parti du Congrès du Botswana (BCP), rappelant que "l'économie a perdu des emplois sous son règne".
Par ailleurs, le pays souffre depuis longtemps de l’épidémie de sida, qui touche un habitant sur cinq et réduit significativement l’espérance de vie. "Le ralentissement de l'économie et la grogne croissante de sa population écornent la belle image du ‘président spécial’", ajoute Matteo Vidiri.
Jeudi à Serowe, la cour traditionnelle a pourtant couvert de cadeaux le président sortant, qui est à présent propriétaire de 143 vaches, de centaines de poulets, d'un 4*4 et d'une caravane.