Il y 100 ans, en pleine Première Guerre mondiale, l'épidémie de grippe espagnole débutait. En quelques mois, elle allait faire au moins 50 millions de morts. Particulièrement contagieuse, elle reste aujourd'hui la plus grande pandémie de l'histoire.
Au printemps 1918, de nombreux journaux français font écho d’une épidémie en Espagne. "Le roi s’est alité. On croit qu’il souffre d’une attaque de l’épidémie grippale qui atteint toute l’Espagne", peut-on lire dans Le Figaro. "L’épidémie de grippe continue à se propager. On compte aujourd’hui 120 000 malades environ, rien qu’à Madrid", rapporte Le Matin. "Tous les journaux madrilènes donnent de longs détails sur l’épidémie de grippe qui se développe avec une rapidité incroyable", ajoute Le Gaulois. Face à l’ampleur du phénomène, l’épidémie prend naturellement le nom de "grippe espagnole".
À la même période, elle commence aussi à sévir en France. Des premiers cas sont signalés dès avril 1918, tout particulièrement chez des soldats, mais la presse hexagonale n’en dit mot. "Nous étions alors en situation de guerre. L’information était censurée dans les pays belligérants", rappelle Anne Rasmussen, professeure d’histoire des sciences à l’Université de Strasbourg. En Espagne, pays neutre, ce n’était pas le cas. Il était donc possible d'en parler. "On a alors cru au début qu’il n’y avait une épidémie qu’en Espagne et pas ailleurs. Cette épidémie n’avait finalement d’espagnole que le nom".
Entre 50 et 100 millions de morts
Les tous premiers foyers de cette grippe de type A (H1N1) comme celle de 2009, auraient en effet été repérés en mars 1918 à des milliers de kilomètres de là, aux États-Unis, dans des camps d’entraînement militaires. En quelques semaines, le virus se propage et traverse l’Atlantique. Il est diffusé notamment par le corps expéditionnaire américain qui arrive en renfort sur le front européen. "La guerre a été un facteur favorable de propagation du virus car il y avait de nombreux déplacements avec des troupes, des permissionnaires ou encore des prisonniers. La grippe a aussi atteint des populations qui étaient affaiblies en raison du conflit", estime Anne Rasmussen. "Mais cette épidémie a aussi fait des morts dans des pays qui n’étaient pas en guerre".
En l’espace de quelques mois, elle se transforme en effet en pandémie. Après l’Europe, elle touche le reste du monde en trois différentes vagues. "Elle a fait quasiment le tour du globe. Très peu de régions ont été épargnées. Elle a même touché des îles ou des zones reculées. Ce qui caractérise cette grippe, c’est vraiment sa globalisation et sa virulence exceptionnelle", résume l’historienne. Selon les premiers bilans établis après-guerre, elle aurait fait 21 millions de morts. Ces chiffres ont ensuite été revus à la hausse autour de 50 millions de morts. Au début des années 2000, les chercheurs Niall Johnson et Juergen Mueller ont même établi une réévaluation à 100 millions de décès. "Ce dernier chiffre me parait exagéré. Il est difficile de compter ces morts, car s’il y avait à l’époque des systèmes de recensement sanitaire en France ou aux États-Unis, ce n’était pas le cas en Afrique ou en Asie", précise Anne Rasmussen.
#1J1P Mon soldat du jour, Louis Dumoulin, pas encore 18 ans mort d'une "pneumonie grippale" (grippe espagnole certainement) à l'hôpital de Besançon le 12 septembre 1918. pic.twitter.com/S0CMiYVd7w
Hélène Urli (@helurli) 13 décembre 2017Une future pandémie ?
À l’automne 1918, le pic est atteint en France. Les journaux en font désormais état dans leurs colonnes. "En présence de la recrudescence sensible et signalée des cas de grippe dont certains prennent un caractère de gravité du fait des complications broncho-pulmonaires, M. Albert Favre, sous-secrétaire d’État à l’Intérieur, a récemment adressé à tous les préfets des instructions pour prévenir ou combattre avec efficacité la maladie du jour", explique en octobre le journal Le Temps.
Des personnalités disparaissent, touchées par l’épidémie comme le poète français Guillaume Apollinaire, le 9 novembre ou le dramaturge Edmond Rostand, le 2 décembre. "Suivant un vieux cliché, quand on parle de la grippe espagnole, on dit souvent qu’elle a causé plus de décès que la guerre. En France, ce n’est pas le cas. Il y aurait eu 240 000 morts de la grippe contre 1 400 000 soldats tués durant le conflit", relativise cependant Anne Rasmussen. "Mais il est indéniable qu’en pleine Première Guerre mondiale, c’est un deuil qui s’est ajouté à un autre deuil".
Octobre 1918, l'Orléanais Henri Soudé consigne les conseils anti #grippe dans son journal. #1GM #WW1 #GrippeEspagnole #H1N1 pic.twitter.com/5jWXZe93UW
Archives d'Orléans (@ArchivesOrleans) 10 janvier 2018Après cette pandémie, d’une ampleur inégalée, le monde en a connu plusieurs : la grippe dite de Singapour en 1957, celle de Hong Kong en 1968 et celle du A(H1N1) en 2009. La menace d’un nouveau virus aussi mortel que celui de la grippe espagnole suscite bien des fantasmes. "Cette crainte d’une nouvelle pandémie est alimentée par le fait que les populations se déplacent toujours de plus en plus. On sait également que la grippe est un virus qui mute en permanence", avance Anne Rasmussen. Résultat : "Il existe une peur de l’arrivée d’un virus particulièrement virulent contre lequel nous n’aurions pas de vrais remèdes".
Cependant, contrairement au début du siècle dernier, nous disposons aujourd'hui d'un certain nombre d’outils bien plus efficace de surveillance. Les instances sanitaires peuvent ainsi prendre des mesures préventives pour juguler les foyers d’épidémies. "Nous sommes également beaucoup mieux armés sur le plan thérapeutique. Nous pouvons lutter contre les infections induites par la grippe grâce aux antibiotiques, ce qui n’était pas le cas en 1918", conclut la chercheuse.