
Au cours de la Première Guerre mondiale, les poilus ne se sont pas seulement battus sur le front français. Au cours de l'hiver 1917-1918, plusieurs dizaines de milliers d'entre eux ont aussi été déployés en Italie.
Lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale en août 1914, l’Italie, jusque-là alliée de l’Allemagne et de l’Autriche, décide dans un premier temps de rester neutre. Mais en mai 1915, après avoir engagé des pourparlers secrets avec la Triple-Entente (France-Royaume Uni-Russie), le royaume décide finalement de déclarer la guerre à l’Autriche-Hongrie, puis en août 1916 à l’Allemagne, en échange de concessions territoriales en cas de victoire.
Pendant deux ans, l’armée italienne se bat principalement dans les Dolomites et le Frioul, sur la Piave, l'Izonso, sur le plateau d'Asiago. Mais en octobre 1917, les soldats italiens sont contraints de battre en retraite face à une offensive austro-allemande à Caporetto (aujourd’hui Kobarid, en Slovénie). Réagissant à cette lourde défaite, l’état-major français décide d’envoyer des renforts sur le front italien à l’hiver 1917. L’historienne Stefania Salvadori , du Centre de documentation sur l'histoire de la Grande Guerre de San Polo di Piave, dans la province de Trévise, a retrouvé de nombreuses photographies de cette présence des poilus de l’autre côté des Alpes. Pour France 24, cette spécialiste de la Grande Guerre revient sur le parcours méconnu du corps expéditionnaire français en Italie.
France 24 : À partir de quand et pourquoi des troupes françaises ont-elles été envoyées sur le front italien ?
Stefania Salvadori : La France, engagée sur le front occidental, avait d’abord accueilli avec soulagement la neutralité italienne en 1914, qui lui assurait la tranquillité sur le front méridional. Elle s’était ensuite félicitée de la déclaration de guerre de l’Italie en mai 1915 aux cotés de la Triple-Entente contre ses anciens alliés de la Triple Alliance car cela permettait d'alléger la présence des forces ennemies sur le front occidental.
Mais la France a par la suite dû porter assistance aux soldats italiens. Au lendemain de la bataille et de la défaite de ces derniers à Caporetto, la France a décidé d’envoyer des troupes de soutien. Si l’armée austro-hongroise avait réussi à étendre ses forces dans cette région, elle aurait pu non seulement faire main basse sur des denrées alimentaires et toutes sortes de ravitaillements, mais elle aurait pu aussi se déplacer en plaine le long des Alpes jusqu'aux confins méridionaux de la France.
Les premières troupes françaises sont donc arrivées le 31 octobre 1917 en Italie et se sont disposées progressivement entre Mantoue et Vérone. Étant donné les forces déployées contre les Italiens par la Triple Alliance, les Anglais ont aussi demandé à rejoindre cette région et sont arrivés dans cette zone de combat autour du Montello, dans la province de Trévise, début novembre 1917. Une partie des troupes françaises a suivi à la fin du mois, un peu plus à l’est du Montello, sur la ligne Monfenera - Monte Tomba - Pederobba. En décembre 1917, le général Armando Diaz, qui commandait l’armée italienne, avait alors célébré leur arrivée .
Quel était le rôle de ces soldats et à quels combats ont-ils participé ?
Avec environ 130 000 hommes, le contingent français a joué un rôle important sur le front italien , surtout dans les combats sur le plateau d'Asiago et autour du massif du Grappa . Sur le plateau d'Asiago, pendant la "Battaglia dei tre monti" de janvier à juin 1918, (nommé "bataille des trois monts" parce qu’elle a mené à la reconquête de trois sommets, Col del Rosso, Col d'Echele et Monte Valbella) les Français ont combattu surtout dans la région du Col d'Echele/Cima Echar, où ils ont repoussé une attaque des Austro-Hongrois en juin 1918.
L’apport des soldats français a été décisif sur le massif du Monte Grappa et surtout sur les contreforts orientaux, notamment sur le Monte Tomba et Monfenera. Pour mieux le comprendre, il faut observer la géographie de ce secteur du front. Le lendemain de la défaite de Caporetto, l'armée italienne a dû reculer jusqu'au fleuve Piave, qui devint la nouvelle première ligne entre les Italiens et les forces des empires centraux de novembre 1917 jusqu'à octobre/novembre 1918. Cette ligne de défense italienne a été si vitale, qu’encore aujourd'hui le fleuve Piave est considéré comme "sacré pour la Patrie". Si les troupes des empires centraux avaient réussi à percer la ligne des sommets du Monte Tomba/Monfenera, ils auraient pu briser le front italien sur la rive droite du Piave et rejoindre la plaine par Pederobba et Onigo.
Entre novembre et décembre 1917, les sommets sont ainsi devenus le théâtre de bombardements et de combats infernaux. L'infanterie austro-allemande a réussi à occuper la crête du Monte Tomba-Monfenera le 22 novembre. Mais le 29 décembre, l'artillerie franco-italienne a riposté. Le lendemain, trois bataillons des chasseurs des alpes de la 47e division française sont partis à l’assaut du Monte Tomba et ont gagné la crête en 20 minutes forçant les Allemands à reculer. Ce résultat s’est révélé très important car il a permis de stabiliser jusqu'à la fin de la guerre la ligne de front sur le massif du Monte Grappa. La bataille des trois monts s’est finalement terminée par une offensive victorieuse en juin 1918, à laquelle les troupes françaises ont aussi participé.
Peut-on dire que les soldats français se trouvaient dans une zone difficile et que les conditions étaient particulièrement dures ?
Les soldats français combattaient dans des zones de montagne avec des difficultés très spécifiques. Sur le Monte Tomba, par exemple, ils se sont retrouvés en première ligne, pas seulement pour défendre leur position, mais surtout pour briser la ligne allemande et reconquérir le sommet. Cela signifie qu’ils ont combattu sous le feu ennemi et en plus en plein hiver. Si l’on regarde les photos d’époque, on comprend immédiatement quel était le quotidien de ces soldats dans les tranchées envahies par la boue. Il est frappant encore aujourd'hui de marcher sur leurs traces sur ces sommets. On aperçoit bien le Piave et la plaine, au sud, mais aussi les pentes vertes avec les traces laissées par les obus. Il faut aller voir sur place, là où ils ont combattu pour se rendre vraiment compte de ce qu'ils ont vécu.
Une autre trace visible nous est offerte par les ossuaires qui se trouvent là où les troupes françaises ont combattu. Il y a des petits monuments dans des villages, mais surtout à Pederobba, aux pieds du Monte Tomba-Monfenera, se trouve un édifice très imposant en mémoire des soldats français. Ici reposent plus de 990 soldats de la 47e division française.