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La police sud-africaine a perquisitionné, mercredi matin, la villa de la famille Gupta. Ces riches investisseurs indiens, proches du président Jacob Zuma, sont au cœur des accusations de corruption au sommet de l’État.
Ajay, Atul et Rajesh. Trois frères d’origine indienne, arrivés en 1993 en Afrique du Sud depuis leur Uttar Pradesh natal, sont dans toutes les conversations à Johannesburg. Ces quadragénaires partis d’une boutique de vente d’équipement informatique, Sahara Computers, dans la métropole sud-africaine et devenus en quelques années des oligarques milliardaires employant des dizaines de milliers de personnes, ont tissé des liens si étroits avec le pouvoir actuel qu’ils ne pouvaient échapper à la crise politique qui secoue le pays.
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Anas Halabi (@Beznas) 14 février 2018Mercredi 14 février au matin, une grosse cylindrée a quitté la gigantesque villa des Gupta, dans le luxueux quartier de Saxonwold, escortée par des véhicules des "Hawks", la police d’élite qui lutte notamment contre les crimes économiques et la corruption. "Les medias se trompent. Aucun des frères Gupta n'a été interpellé", a affirmé le représentant légal de la famille à Reuters. De son côté, le porte-parole de la police, Hangwani Mulaudzi, a simplement précisé que l'opération était "liée" au scandale de "capture de l'État".
Le "système Zupta"
"Capture de l’État", c’est le nom du plus gros scandale politico-financier que l’Afrique du Sud ait connu depuis la fin de l’apartheid, en 1991. Révélé fin 2016 avec un rapport dévastateur de la médiatrice anticorruption Thuli Madonsela, qui pointait l’influence de la famille Gupta sur la politique sud-africaine, il avait alors levé le voile sur leurs liens forts avec le l'ancien président, Jacob Zuma (qui a été contraint à la démission le 14 février), et permis l’ouverture d’une enquête. La fratrie de milliardaires, qui évolue dans les secteurs de l’informatique, des mines (notamment d’uranium) et des médias est depuis soupçonnée d’avoir, à travers cette amitié privilégiée, imposé à l'ex-chef de l’État la nomination de certains ministres, et obtenu l’attribution de contrats publics.
En 2015, Ajay Gupta, l’aîné, aurait ainsi offert près de 40 millions d’euros au vice-ministre des Finances, Mcebisi Jonas, pour que ce dernier prenne la place du ministre Nhlanhla Nene, et puisse ainsi licencier les fonctionnaires du Trésor trop zélés. Jonas affirme ne pas avoir accepté le pot-de-vin, mais Nhlanhla Nene a tout de même été limogé par Jacob Zuma en décembre 2015. Son successeur Pravin Gordhan a par la suite tenté de se positionner en rempart contre le système de corruption mis en place par les frères Gupta et Jacob Zuma, qualifié dans le pays de système "Zupta".
Après s’être opposé à la conclusion de contrats, comme l’achat de centrales nucléaires russes qui devaient bénéficier aux Gupta mais aurait gravement mis à mal les finances du pays, mais aussi avoir révélé des transactions "suspectes" d’entreprises de la fratrie pour un montant de 6,8 milliards de rands (461 millions d’euros), Pravin Gordhan est également limogé par le président en mars 2017. Le chef de l’État a reconnu être un ami des Gupta mais a toujours vigoureusement nié les avoir favorisés de quelque manière.
Duduzane Zuma, le fils pivot
Début 2017, la fuite de plus de 100 000 mails de la fratrie, les "GuptaLeaks", dévoile un peu plus les ramifications du système "Zupta", qualifié par l’opposition de "cartel aux tendances mafieuses". Ils montrent le contrôle qu’exercent les trois frères sur certains ministres, et le rôle pivot du fils de l'ancien président, Duduzane Zuma, 36 ans, ancien employé et ami des Gupta. Devenu millionnaire sous l’aile de ses bienfaiteurs, c’est lui qui leur aurait permis d’influencer certaines décisions gouvernementales ou leur aurait facilité l’attribution de marchés publics, d’où les Gupta auraient récupéré des millions d’euros en pots-de-vin.
Aujourd’hui en retraite dorée à Dubaï, Duduzane Zuma s’est défendu de toute collusion. "Je ne pense pas qu’ils voulaient quoi que ce soit de moi. Je pense qu’ils m’apprécient, tout comme je les apprécie aussi. Je pense être un gars sympathique", affirme-t-il, sans ironie. Deux autres membres de la famille de Jacob Zuma ont aussi été employés par les Gupta : Duduzile Zuma, sa fille, et Bongi Ngema-Zuma, l’une de ses quatre femmes (la polygamie est autorisée en Afrique du Sud).
Nouvelle donne à la tête de l’État
L’ascension dorée des trois milliardaires et de l’empire Zuma a fini par tourner court. À la suite de l’ensemble de révélations sur l’immense scandale politico-financier au sommet de l’État sud-africain, la banque indienne Baroda, dernier établissement financier permettant aux oligarques d’effectuer leurs transactions financières, a menacé fin 2017 de clôturer tous leurs comptes. Début février 2018, la banque a annoncé qu’elle préparait son retrait d’Afrique du Sud. Acculés, les hommes d’affaires ont commencé à vendre une partie de leurs actifs.
Mais c’est surtout l’arrivée à la tête de l’ANC, le parti au pouvoir, du vice-président Cyril Ramaphosa, qui a changé la donne. "Nous allons nous attaquer à la corruption et à la capture de l’État. (…) Priorité absolue sera accordée aux enquêtes et aux poursuites contre ceux qui en sont responsables", promettait-il mi-janvier, lors de son premier discours en tant que numéro un de l’ANC.
Jacob Zuma a été contraint en début d’année de nommer une commission d’enquête judiciaire contre la corruption à la tête de l’État. Selon le responsable du parquet général, Knorx Molelle, 17 dossiers ont déjà été ouverts par la justice contre des entreprises liées aux Gupta, auprès desquelles il espère récupérer l’équivalent de 3,3 milliards d’euros d’argent public. Plus de 1,6 milliards de rands (110 millions d’euros) indûment versés à deux firmes liées à l’empire Gupta en échange de conseils aux entreprises publiques Eskom (électricité) et Transnet (transports) vont déjà être saisis par le PNA, a annoncé Knorx Molelle le 16 janvier.
La perquisition au domicile des Gupta, mercredi, entre a priori dans le cadre de cette enquête de grande ampleur. Les "Hawks" ont annoncé qu’une opération d’envergure était en cours "pour sécuriser certains éléments comme des documents ou des appareils électroniques. Tout ce qui peut être considéré comme preuve sera saisi". Le règne des Gupta en Afrique du Sud, comme celui de leur allié Jacob Zuma, semble toucher à sa fin.