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Une star de Wall Street remercie la philosophie avec un chèque de 75 millions de dollars

L’investisseur Bill Miller a versé 75 millions de dollars au département de philosophie où il a fait ses études en gage de reconnaissance pour l'influence que cette discipline a eu sur sa carrière. Quel rapport entre philo et flair financier ?

Finance sans philo n’est que ruine du portefeuille d’actifs. Tel est l’avis de l’investisseur américain Bill Miller. Cette star de Wall Street, à la tête du fonds spéculatif MVP1, a effectué, mardi 16 janvier, un don record de 75 millions de dollars au département de philosophie de la John Hopkins University (Baltimore), où il a passé trois années de sa vie à étudier. Aucune faculté de philosophie dans le monde n'avait jusqu'à présent reçu une donation aussi importante.

Ce beau geste est d'autant plus surprenant qu'il émane d’une véritable légende vivante de la finance. Bill Miller est, en effet, connu pour avoir enregistré sans discontinuer, entre 1991 et 2006, des retours sur investissement supérieurs à l’évolution de l’indice boursier Standard and Poor’s 500. On est loin de Socrates et de son refus de tout prêt d'argent rémunéré...

Miller, Soros et Icahn

La philosophie “a fait la différence pour moi aussi bien dans ma vie que dans mon travail, en m’apportant un vaste bagage de connaissances et en m’aidant dans mes choix d’investissements”, a-t-il expliqué au New York Times.

Une sacrée publicité pour une discipline académique souvent dépeinte de manière caricaturale comme peu utile pour affronter la jungle professionnelle (les filières économiques ou les écoles de commerce sont favorisées par ceux qui veulent réussir dans la finance).

Bill Miller n’est pas un cas à part. Le célèbre investisseur et milliardaire George Soros affirme qu’il n’aurait jamais réussi sans philosophie. Il a même tenu une série de conférences pour expliquer en quoi la pensée du philosophe autrichien Karl Popper l’avait défini en tant qu’investisseur. Un autre financier à succès, Carl Icahn, dispose également d’un diplôme en la matière.

Signe qu'il existe des passerelles entre philosophie et finance, l’université d’Oxford avait découvert, en 2013, que 25 % de ses philosophes en herbe avaient été recrutés par des institutions financières

Des quant ou du Kant ?

C’est donc une réalité trop méconnue. Il n’y a pas que des quants dans les salles des marchés, il y a aussi du Kant. Pour Dominique Terré, les textes canoniques encouragent la recherche du profit et peuvent motiver de futurs traders. Tout commence avec les Évangiles, et la parabole des talents qui pose comme principe morale l’obligation de faire fructifier son argent.

Toujours dans le domaine religieux, Saint Thomas d’Aquin évoque, au XIIIe siècle, la notion de “juste prix”. Il “établit ainsi la relation étroite entre religion, éthique et argent”, assure Dominique Terré.

Quelques siècles plus tard, au XVIIIe, le flambeau est repris par les utilitaristes britanniques John Stuart Mill et Jeremy Bentham. “Pour eux, la morale consiste à rendre la majorité des gens le plus heureux possible, sachant que le bonheur passe par le plaisir qui se mesure quantitativement en argent”, résume la philosophe.

Le sociologue allemand Max Weber va ensuite donner, au XIXe siècle, une justification morale qui aura par la suite un poids important dans l’Amérique protestante. Il explique que le protestantisme repose sur la notion de “grâce”. “Pour montrer que l’on a de la grâce, il convient de réussir et gagner de l’argent”, souligne Dominique Terré.

Karl Popper vs la crise de 2008

La philosophie constitue donc un puissant moteur pour se lancer à l’assaut du Dow Jones ou du CAC40. Mais elle donne aussi des outils face aux financiers qui n’ont que les algorithmes dans le sang, d’après Bill Miller. “Les habitudes d’analyses qui sont enseignées en philosophie – les techniques analytiques rigoureuses – sont cruciales pour un bon investisseur”, a-t-il assuré à la chaîne Bloomberg.

De son côté, George Soros a affirmé que sa formation philosophique lui a permis d’avoir une approche différente d’une opportunité d’investissement qui lui offre un avantage face au commun des investisseurs. Il a ainsi affirmé dans un long exposé pour le Financial Times que son étude de Karl Popper lui a permis de “mieux anticiper et répondre à la crise financière de 2008”. Son fonds d’investissement, Quantum Endowment, a été l’un des premiers à retrouver le chemin des profits dès début 2009.

De manière plus générale, Dominique Terré estime que n’importe quelle banque devrait considérer d’ajouter des philosophes à ses équipes car “ils ont une vision plus générale des choses” qui est complémentaire de l’approche purement mathématique d’autres traders. Autrement dit, la finance sera philosophique ou ne sera pas.