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Allemagne : la grande coalition, "une urgence au nom de l'Europe"

Plus de trois mois après les élections législatives en Allemagne, la CDU d’Angela Merkel et son allié bavarois de la CSU ont entamé des pourparlers avec le SPD. Pour Quentin Peel, spécialiste de l'Allemagne, "il y a urgence".

La chancelière Angela Merkel s'est dite "optimiste" à l'ouverture de nouvelles négociations pour former une coalition avec les sociaux-démocrates et sortir l'Allemagne de l'impasse politique, plus de trois mois après des législatives, marquées par une percée de l'extrême droite et un repli des partis établis.

Les négociations entre son parti, la CDU, son allié, la CSU, et les sociaux-démocrates du SPD se sont ouvertes dimanche 7 janvier à Berlin.

Dans une interview accordée à France 24, Quentin Peel, spécialiste de l'Allemagne au sein du think tank Chatham House à Londres, estime que la chancelière a de bonnes raisons d'être optimiste.

France 24 : Le parti d'extrême droite Alternative pour l'Allemagne (AfD) est arrivé en troisième position aux élections législatives du 24 septembre. Sa présence au Parlement peut-elle affecter les discussions entre la CDU/CSU et le SPD ?

Quentin Peel : L'AfD peut en effet nuire aux négociations. S'il y a une grande coalition, l'AfD deviendra le plus grand parti d'opposition, mais il est très divisé en termes de personnalités et de points de vue politiques. Le parti risquerait alors d’exposer ses fissures internes.

Si la tentative de coalition échouait et que de nouvelles élections étaient organisées, il y a un risque que l'AfD fasse encore mieux. Ce risque est discutable car l'électorat allemand est tout à fait conscient de la nécessaire stabilité politique et je ne serais pas surpris que la menace d'une instabilité persuade les électeurs de retourner vers les partis traditionnels.

[Quant aux orientations politiques], la montée de l'AfD met une pression réelle sur la CSU. À l'approche des élections fédérales bavaroises, la CSU craint de perdre des voix en faveur de l'AfD et durcit donc le ton, notamment sur l'immigration et les réfugiés. C’est une orientation qui risque d’être dure à accepter pour le SPD.

Quels autres points de politique intérieure marqueront ces négociations ?

Un sujet est particulièrement intéressant : la fiscalité. La CDU et la CSU sont favorables à la réduction des taxes pour les entreprises, alors que le SPD veut, s'il y a baisse des impôts, que les classes moyennes et plus modestes en payent moins et les plus favorisées en payent plus. Mais la situation budgétaire est saine, le budget est équilibré depuis quatre ans et l'Allemagne dispose de 20 milliards d'euros d'excédents. Il y a donc beaucoup d'argent à dépenser et c'est ce qui rend un tel accord séduisant.

Le SPD souhaite donner un coup de pouce aux investissements, ce à quoi la CDU n'est pas opposée. Le problème reste d’obtenir un accord réellement avantageux malgré les difficultés à établir une politique fiscale sur le long terme. Je pense que le SPD va faire pression pour obtenir le ministère des Finances, une concession qu'Angela Merkel fera selon moi.

Qu'en est-il de la politique étrangère ?

Dans ce domaine, les deux camps se rapprochent plus qu’ils ne se divisent.  Tous les partis en discussion, à droite comme à gauche, souhaitent un bon accord européen et soutiennent le projet de réforme d’Emmanuel Macron. L'Europe est une urgence. D’autres dossiers comme les relations avec les États-Unis ou  la Russie sont critiques.

L’un des autres facteurs-clés pour une négociation réussie est le suivant : quand les discussions ont échoué pour la précédente "coalition jamaïcaine", le président Frank-Walter Steinmeier a fait pression sur tout le monde en rappelant que l’Allemagne avait besoin d’une coalition en raison de ses responsabilités internationales.

L'urgence est là. La "grande coalition" n’est pas populaire auprès des membres des partis qui sont des adversaires naturels, mais le sens des responsabilités la justifie – particulièrement la responsabilité internationale.