En 2017, plus de quatre milliards de dollars ont été investis dans des levées de fonds dans le monde des monnaies virtuelles. Block.one est devenu, en décembre, le roi de cette mode avec 700 millions de dollars récoltés.
C’est une levée de fonds qui crève le plafond. La start-up block.one a récolté plus de 700 millions de dollars de la part d’investisseurs pour financer EOS, un projet dans la jungle des cryptomonnaies (bitcoin, ethereum, etc.), a constaté le Wall Street Journal, mardi 19 décembre.
Cette opération est, de très loin, la plus importante ICO (Initial coin offering - levée de fonds en cryptomonnaie) de l’année. Les fondateurs de block.one ont rassemblé près de trois fois le total des sommes obtenues par d’autres levées de fonds similaires, telles que celles menées par Lifecoin (263 millions de dollars) ou par Tezos (232 millions de dollars). Et ce n’est pas fini : block.one va continuer à proposer aux investisseurs de participer à l’aventure jusqu’en juin 2018, date à laquelle EOS doit être lancé.
Windows pour cryptomonnaie
Mais quel est ce projet qui délie les bourses ? C’est là que le bât (commence) à blesser. Les créateurs d’EOS laissent largement les internautes sur leur faim à ce sujet : “Nous pensons qu’EOS peut signifier des choses très différentes pour des personnes différentes. Nous avons reçu des interprétations fantastiques de ce qu’EOS peut représenter et avons décidé de ne pas le définir nous-même”, peut-on lire sur leur site internet. Pas de quoi rassurer les investisseurs.
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Heureusement pour eux, certains ont tenté d’être plus précis. Mais il faut être versé dans les arcanes des cryptomonnaies pour comprendre. De manière très simplifié, block.one ambitionne de créer une sorte de Windows pour ceux qui veulent effectuer des transactions en cryptomonnaie.
Si les contours du projet peuvent paraître flous, les risques d’investir sont, en revanche, très nets. “C’est surprenant que tant d’argent a été investi dans un ICO aussi risqué”, reconnaît Nathalie Janson, économiste et spécialiste des bitcoins à l’école de management Neoma Business School. En échange de leur argent, les investisseurs reçoivent des jetons, baptisés EOS Token, … qui ne valent rien et ne donnent droit à rien pour l’instant.
Lors d’une levée de fonds classique, comme par exemple une introduction en Bourse, les investisseurs reçoivent une participation dans la société qu’ils financent sous forme d’actions. Dans le Far West des ICO - un monde sans foi, ni régulation - les porteurs de projet peuvent promettre ce qu’ils veulent aux investisseurs. En l'occurrence, les fondateurs de block.one ont été très clairs dans leurs conditions de vente : “Les jetons EOS n’ont aucune valeur, aucun but, et ne peuvent être utilisées d’aucune manière”.
Excès des ICO
En fait, “les investisseurs misent sur un modèle économique, avec l’espoir que ces jetons auront une valeur dans le futur”, explique Nathalie Janson. Les EOS Token sont, à ce titre, un pur produit pour spéculateurs : ils espèrent que ces jetons pourront être revendus avec un profit plus tard si EOS devient une plateforme à succès. Block.one laisse d’ailleurs la porte ouverte à cette possibilité en assurant que “ces jetons seront peut-être un jour échangeables [contre des dollars ou une autre cryptomonnaie]”. Mais la start-up se réserve le droit de décider si, et quand les EOS Token deviendront une cryptomonnaie échangeable.
Pour le Wall Street Journal, la frénésie pour l’EOS illustre à merveille les excès des ICO en 2017. Ces levées de fonds en marge des circuits de financement traditionnels (marchés financiers, business Angel, prêts bancaires), ne sont absolument pas régulées et sont ouvertes à tous les internautes. Pour EOS, par exemple, il suffit de remplir un formulaire sur Internet et le tour est joué. Depuis le début de l’année, plus de quatre milliards de dollars ont ainsi été investis à travers des ICO.
Plusieurs projets se sont révélés être des pures arnaques. Les créateur de Confido ont réussi à lever 375 000 dollars avant de disparaître sans laisser de traces… mais en emportant la caisse, fin novembre 2017. Devant ces dérives, la Chine a décidé d’interdire les ICO jusqu’à nouvel ordre et les États-Unis se réservent le droit de soumettre ces opérations aux règles financières de la Security and Exchange Commission (SEC, gendarme de la Bourse).
Deux pays à la pointe de la vigilance contre ce phénomène financier. Deux pays dont les ressortissants n’ont pas le droit de participer à l’ICO d’EOS… Pour se protéger un peu plus, les créateurs de block.one ont domicilié leur start-up dans les îles Caïmans. Ils ont aussi précisé, dans les conditions de ventes, qu’ils se réservent le droit d’utiliser les fonds levés comme ils l’entendent. Ils peuvent très bien acheter une collection de voitures de sports ou des yachts dans tous les ports de plaisance. Certes, leur réputation serait foutue dans le monde des cryptomonnaies, mais ils seront à la tête d’une fortune de plus de 700 millions de dollars… volés en toute honnêteté et transparence.