Le 15 décembre marque quatre ans de guerre civile au Soudan du Sud sur fond de rivalité politico-ethnique entre le président Kiir et son ex-numéro 2. Des dizaines de milliers de morts et des millions de déplacés : l'ONU tire la sonnette d'alarme.
"Il s’agit de la plus importante crise de réfugiés en Afrique". Alors que le Soudan du Sud entre, vendredi 15 décembre, dans sa cinquième année de guerre civile, l’ONU tire la sonnette d’alarme et appelle les parties ainsi que la communauté internationale à agir face à la situation humanitaire critique.
"Il faut exercer une pression sur les artisans de ce conflit meurtrier, qui a déraciné un tiers de la population du Soudan du Sud en quatre ans. Un nombre incalculable d’habitants ont été massacrés ou blessés. Une action urgente et concertée par les acteurs régionaux et internationaux est impérative, avant qu’il ne soit trop tard", a déclaré Filippo Grandi, le Haut-Commissaire des Nations Unies pour les réfugiés (HCR), dans un communiqué.
Plus récent pays du monde ayant acquis son indépendance en juillet 2011, le Soudan du Sud est plongé depuis décembre 2013 dans un conflit provoqué par une rivalité politique et ethnique entre le président Salva Kiir et son ancien vice-président Riek Machar, limogé après avoir fait part de son intention de briguer la présidence. Issus du même parti politique (le Mouvement populaire de libération du Soudan qui a mené le pays à l'indépendance), les deux hommes appartiennent aussi à deux ethnies différentes, les Dinkas et les Nuers, ce qui a attisé d’anciennes dissensions.
"Le monde ne peut plus se contenter de regarder, alors que les populations du Soudan du Sud sont terrorisées par une guerre absurde", poursuit le chef du HCR. Selon l’agence onusienne, les six pays voisins du Soudan du Sud (eux-mêmes en proie à l’instabilité et aux déplacements à grande échelle de leurs propres ressortissants) hébergent plus de deux millions de réfugiés et un million supplémentaire pourrait s’ajouter d’ici à un an. À l’intérieur du pays, sept millions de personnes ont besoin d’une aide humanitaire essentielle, dont deux millions sont des déplacés internes.
"Aveuglement et naïveté" de la communauté internationale
L’ONU a annoncé, jeudi, le renouvellement de la Minuss, sa mission de maintien de la paix au Soudan du Sud, mais pour seulement trois mois, contre un an précédemment. Le but est ainsi de pousser à une relance proactive du processus de paix et d'achever "l'examen stratégique de la Mission" qui compte un effectif d'environ 17 000 soldats, policiers et civils.
Pour Roland Marchal, chercheur à Sciences Po et spécialiste des conflits en Afrique sub-saharienne, la mission des Casques bleus aura eu le mérite "d'internationaliser le problème, d'envoyer le message que l'ONU était là". Mais les bénéfices s’arrêtent là, selon lui : "Depuis ses débuts, il y a six ans, cette opération n’était pas assez outillée, ils n’avaient pas prévu que leur mandat allait se complexifier, que le conflit allait s’enliser et que les besoins de protection des civils allait s’accroître autant".
Le chercheur dénonce aussi "l'aveuglement et la naïveté" de la communauté internationale, expliquant l’étalement du conflit dans le temps. "Il y a eu pendant des années une grande vague d'illusion collective. Un certain nombre de questions politiques ont pourtant surgi dès 2005 avec la signature d'un accord de paix global qui était loin de régler toutes les dissensions avec les rebelles du sud", explique-t-il, ajoutant que le conflit aurait dû, à l’époque, être suivi avec le même soin que celui qui a tant occupé la communauté internationale au Darfour.
L’aveuglement, poursuit-il, s’est naturellement prolongé après l’indépendance du Soudan du Sud en 2011 : "On a assisté à un véritable emballement enthousiaste d'experts et de donateurs sur le fait que le couple Salva Kiir/Riek Machar allait fonctionner. Énormément d’argent a afflué de l’étranger, ce qui a créé un appareil d'État fictif. Tous les ministères donnaient l'apparence de la construction d'un État, mais ce n'était qu'une impulsion étrangère qui n'avait pas réellement le pouvoir de peser sur la politique interne. Le réveil a été brutal".
"Une sortie de crise rapide relèverait du miracle"
Les États-Unis ont menacé, en novembre, de prendre des mesures de rétorsion à l'encontre du gouvernement sud-soudanais s'il ne mettait pas fin à la guerre. "Cela suffit avec les mots", a prévenu l'ambassadrice américaine à l'ONU Nikki Haley, qui s’est rendue en octobre au Soudan du Sud pour mettre en garde le président Salva Kiir. La nature des sanctions envisagées par la Maison Blanche n’a pas été précisées. En 2016, Washington avait tenté, sans succès, de faire pression en agitant le spectre d’un embargo sur les armes et de sanctions internationales.
"Une sortie de crise rapide relèverait du miracle", regrette Roland Marchal, craignant qu’il faille "un nouvel épisode militaire interne (…) pour enfin convaincre la communauté internationale de s'investir efficacement".
En attendant, le Soudan du Sud continue de se vider de sa population. Les six pays limitrophes – l'Éthiopie, le Soudan, l'Ouganda et le Kenya, ainsi que la République démocratique du Congo et la République centrafricaine – ont tous maintenu l’ouverture de leurs frontières, malgré les afflux de réfugiés et la baisse des ressources financières. Le Plan régional interagences d’aide aux réfugiés du Soudan du Sud n’est financé qu'à 33 %, et la majorité des réfugiés sont exposés aux maladies et à la pénurie de vivres, déscolarisés et souvent sans-abri.
Le Haut-Commissaire Filippo Grandi appelle tous les acteurs du conflit à trouver une solution politique en s’appuyant sur "le succès du 'High Level Revitalization Forum' pour mettre fin aux souffrances des réfugiés sud-soudanais et au massacre de civils innocents". Présidée par l’Autorité intergouvernementale pour le développement, cette initiative de paix au Soudan du Sud est destinée à revitaliser un accord de paix avorté en 2015.