Un rapport élaboré par une centaine d'économistes internationaux met en lumière la progression constante des inégalités de revenus dans le monde. Les 10 % les plus riches détiennent une part toujours croissante des revenus nationaux.
Les rapports alarmants sur les montées des inégalités de revenus se suivent et se ressemblent. Mais le dernier, paru jeudi 14 décembre, se distingue du lot : il a été élaboré par une centaine d'économistes qui ont pu s'appuyer sur plus de 175 millions de données fiscales et économiques. Ces dernières ont été amassées depuis le début des années 2000 par une petite équipe codirigée par les économistes français Thomas Piketty et Gabriel Zucman, et leur collègue américain Emmanuel Saez.
Pour les auteurs du rapport, les données collectées indiquent clairement que les "inégalités de revenus ont augmentés dans presque toutes les parties du monde ces dernières décennies, mais à des rythmes différents". Un résultat dans la droite ligne des conclusions du livre "Le capital au XXIe siècle" qui a contribué à la renommée mondiale de Thomas Piketty.
Échec nord-américain
La même dynamique est ainsi à l'œuvre en Europe, en Chine, aux États-Unis, en Afrique, ou encore en Russie : la part du revenu national accaparé par les 10 % les plus aisés a cru depuis les années 1980 alors que celle des 50 % les plus pauvres a stagné ou est en baisse. Pour les auteurs du rapport, c'est la preuve que le modèle de société mis en place après la deuxième guerre mondiale, fondé sur un partage équitable des revenus, n'est plus d'actualité.
Mais il y a certaines régions du monde qui ont davantage limité les dégâts que d'autres. En Europe, la part du revenu national entre les mains des très riches n'a que légèrement augmenté alors qu'elle a connu une hausse fulgurante aux États-Unis (les 10% les plus riches américains concentrent 47 % des revenus nationaux en 2016 contre 34 % en 1980).
Pour les auteurs du rapport, l'échec nord-américain provient à la fois d'un système éducatif plus inégalitaire qu'en Europe, et à une politique fiscale qui a favorisé les plus aisés au fil des années. À cet égard, "la réforme fiscale qui vient d'être adoptée par le Sénat américain va agir comme un formidable accélérateur d'inégalités", préviennent Thomas Piketty, Gabriel Zucman et Emmanuel Saez, dans une tribune publiée par le quotidien britannique The Guardian.
Le Moyen-Orient, région la plus inégalitaire
Seuls l'Inde et la Russie ont connu une flambée de la captation des revenus nationaux encore plus importante que les États-Unis.
Les régions où les plus riches détiennent la plus importante part du gâteau ne sont pas celles où les inégalités ont progressé le plus rapidement. Au contraire : selon le rapport, il s'agit des pays du Moyen-Orient, de l'Afrique sub-saharienne (surtout l'Afrique du Sud), et du Brésil. Les 10 % les plus aisés y détiennent plus de 50 % du revenu national, voire 60 % au Moyen-Orient depuis plusieurs décennies. Un constat guère surprenant, d'après les économistes, puisque ces régions du monde n'ont pas connu une période de politique fiscale plus égalitaire, comme en Europe ou aux États-Unis après la deuxième guerre mondiale.
Le collectif d'économistes prévient que les inégalités de revenus, déjà élevées, risquent d'augmenter jusqu'à 2050 au moins, si les politiques fiscales n'évoluent pas. Ils appellent à une taxation qui redeviendrait vraiment progressive (plus un contribuable est riche, plus le taux d'imposition doit être élevé). Exactement à l'inverse de ce qui est prévu par la réforme fiscale proposée par le président américain Donald Trump et, dans une moindre mesure, par le gouvernement français.