Sept ans après le succès "Des Hommes et des Dieux", le réalisateur Xavier Beauvois se penche sur le sort des femmes durant la Grande Guerre. Dans "Les Gardiennes", il met en lumière le dur labeur des paysannes, alors que les hommes sont au front.
C’est une ferme comme il en existe tant. Une vieille maison en pierre. Quelques bêtes et un lopin de terre. Mais dans les champs ou dans l’étable, ce sont les femmes qui sont à l’ouvrage. Nous sommes en 1915. Les hommes sont déjà partis depuis des mois au front. Alors qu’ils se battent contre les Allemands, les femmes ont engagé un autre combat : celui de faire vivre leur exploitation, malgré l’absence de bras.
Ce sujet, peu mis en lumière depuis le début du centenaire de la Première Guerre mondiale, est au cœur du film "Les Gardiennes", le nouveau long-métrage de Xavier Beauvois, récompensé en 2011 par trois César pour "Des Hommes et des Dieux". Le réalisateur s’est inspiré librement du roman du même nom d’Ernest Perochon, publié en 1924. Loin du champ de bataille, il dépeint le quotidien d’une ferme, privée de ses hommes. Hortense (Nathalie Baye) assure les tâches d’une poigne de fer, soutenue par sa fille Solange (Laura Smet). Dépassée par l’ampleur du travail, elle embauche Francine (Iris Bry), une jeune fille de l’Assistance publique.
La révélation Iris Bry
Volontairement lent au départ, le film monte en puissance au fil des saisons. La tension augmente au fur et à mesure du conflit. À l’attente du retour succède l’angoisse de la disparition, puis la douleur de la mort. Dans le rôle des deux paysannes, Nathalie Baye et Laura Smet, mère et fille à l’écran comme à la ville, s’avèrent cependant moyennement convaincantes. Leur dureté et leur aplomb sonnent vrai, mais derrière la charrue ou une faux à la main, les deux actrices ne transpirent pas l’expérience de la terre.
La jeune Iris Bry, dont il s’agit du baptême du feu sur un plateau de cinéma, est en revanche magnétique. Repérée dans la rue, alors qu’elle suivait un CAP de libraire, la jeune femme dégage une lumière et une force à toutes épreuves. À ses côtés, un autre acteur novice, Gilbert Bonneau, crève l’écran. Ce paysan solitaire, qui s’est embarqué dans cette aventure cinématographique un peu par hasard, est bluffant de naturel. Avare en paroles, il symbolise en un regard toute la souffrance de 14-18. Dans le creux de ses mains ridées, qu’il tord de douleur, c’est tout le monde paysan qui est inscrit.
Un peu lent au début, la seconde partie est plus forte. Le film m'a fait penser à mes arrières grands-mères dans leurs fermes en Bretagne. pic.twitter.com/wsABdYw2ne
Stéphanie Trouillard (@Stbslam) 14 juin 2017La mobilisation des paysannes
Au-delà des acteurs, le film "Les Gardiennes" est avant tout porté par son histoire. S ur l’écran, ce ne sont pas Nathalie Baye ni Iris Bry que nous voyons, mais ce sont nos grands-mères et arrières-grands-mères. Dans une France très agricole qui représentait alors plus de 40 % de la population, elles ont été mobilisées à leur manière. Comme le résume l’historienne François Thébaud dans son livre "Les femmes au temps de la guerre de 14" : "Ce n’est ni pour la paix ni pour la guerre mais pour survivre et maintenir l’exploitation, que la majeure partie des paysannes ont travaillé pendant ces quatre longues années. Comme toutes les remplaçantes".
Endurcies par le conflit, fatiguées par l’effort, elles se sont transformées en combattantes. Sans casque et sans munitions, elles ont aussi saigné, au cours de la Grande Guerre, dans la poussière des champs. C’est toute une génération de femmes meurtries par la vie, qui est ressortie du conflit. Mais ces "Gardiennes" sont malheureusement retournées dans l’ombre. Malgré leur immense mobilisation et les larmes versées, le droit de vote ne leur a été accordé qu’en 1944. Le film de Xavier Beauvois leur rend enfin un peu justice.