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Liban : "Chaque membre ordinaire du Hezbollah est un combattant potentiel"

L’ascension du Hezbollah, qui se pose désormais comme un acteur à part entière des conflits au Moyen-Orient, repose depuis sa création sur son rapport particulier avec l’Iran et sa capacité à attirer une base militante dévouée. Décryptage.

Créé en 1982, en plein milieu de la Guerre du Liban (1975-1990), le Hezbollah, à l’origine une milice chiite appuyée par l’Iran pour combattre l’occupant israélien (1982-2000), s’est peu à peu imposé comme la principale puissance politico-militaire au Liban. Depuis sa participation à la guerre en Syrie, le parti chiite dirigé par Hassan Nasrallah se pose comme un acteur incontournable des conflits de la région.

Pour en savoir plus sur le fonctionnement du Hezbollah, ennemi juré du gouvernement israélien et classé comme organisation terroriste par Washington et les pays du Golfe, France 24 a interrogé Erminia Chiara Calabrese, chercheuse post-doctorante au Centre d'études en sciences sociales du religieux (CESOR) à l'EHESS. Elle est l’auteur de l’article "La cause c’est nous : militants du Hezbollah au Liban face à la guerre en Syrie", publié dans le magazine Confluences Méditerranée, en 2016.

Comment décrirez-vous les rapports entre le Hezbollah et l’Iran, considéré comme son parrain ?

Erminia Chiara Calabrese : Les actions du Hezbollah reposent sur deux dimensions. Une dimension qui s’inspire du projet de chiisme politique de l’ayatollah Khomeiny, le fondateur de la République islamique en Iran, et repose sur la doctrine de la wilâyat al-faqîh, la guidance du juriste-théologien ; et une dimension politique, pragmatique et territoriale qui renvoie à la lutte contre Israël en tant qu’occupant du territoire libanais. L’allégeance du parti renvoie donc au guide suprême iranien (walî), aujourd’hui l’ayatollah Ali Khamenei, et non au gouvernement iranien.

Le Hezbollah entretient une relation étroite avec Ali Khamenei, depuis 1989, ce qui lui garantit la conformité de ses actions à la loi religieuse. En réalité, la relation du parti avec le guide suprême donne au Hezbollah une large autonomie, notamment en ce qui concerne les affaires libanaises et les questions politiques. Certes, certaines de ses décisions doivent être autorisées par le walî. Ces autorisations concernent les décisions qui peuvent mettre en danger les intérêts de Téhéran, dans le cas par exemple d’une guerre avec Israël ou dans le cas de l’actuel conflit syrien, ou celles qui remettraient en cause un grand principe du parti.

La branche armée du Hezbollah est-elle dissociable de la direction du parti chiite ?

Le Hezbollah est un parti politique fortement institutionnalisé et centralisé, et dont la structure partisane peut s’apparenter à celle des partis communistes en Europe. La perception de ce parti, telle que présentée par l’Union Européenne et les États-Unis, qui fait une distinction entre les branches militaire (Résistance armée) et politique (Hezbollah) en subordonnant la première à la seconde, ne rend pas compte de la situation rencontrée sur le terrain. Plusieurs fois au cours de son histoire, le Hezbollah a servi les intérêts de sa résistance armée et a cherché par ses prises de décision à la préserver, subordonnant donc le rôle politique au rôle militaire, et non l’inverse.

Je préfère donc parler de deux dimensions qui caractérisent ce parti, militaire et politique, et non pas de deux branches. Ces deux dimensions sont en effet indissociables dans les hauts échelons du parti qui présentent un même leadership. Preuve en est que Hasan Nasrallah, le secrétaire général du parti, contrôle aussi le Conseil central du Jihad chargé de la supervision des activités de la lutte armée. Idem dans les bas échelons, puisque chaque membre ordinaire du Hezbollah est un combattant potentiel, dans le sens qu’un entraînement militaire est de fait nécessaire pour devenir membre du parti.

Comment le Hezbollah est-il parvenu à construire une base militante, aussi dévouée et aussi importante depuis sa création au début des années 1980?

Le Hezbollah est né dans les années 1980 en tant qu’organisation de guérilla très localisée pour combattre l’occupation israélienne au Liban. Son ancrage territorial et militant a débuté aussi avec l’implantation de plusieurs institutions. Celles-ci n’ont pas seulement pour but de fournir des services ou de créer des emplois, mais aussi de diffuser les idées du parti. Les ressorts de la force mobilisatrice du Hezbollah sont pluriels. Mais sans doute, une de ses ressources principales est le fait que ce parti a su s’ériger en protecteur incontestable de la frontière sud avec Israël.

Il est aussi perçu comme un vecteur d’intégration d’une communauté chiite autrefois exclue et qui, aujourd’hui, occupe une place centrale au sein du système libanais. Cette communauté se caractérise, sur le plan politique, social et économique, par une trajectoire ascendante et une estime de soi qui s’est, depuis 2000, à la suite du retrait israélien du Sud-Liban et après la guerre de 2006, toujours renforcée et concrétisée dans une sorte de gain de pouvoir (empowerment). Tout cela ne fait que renforcer le pouvoir de mobilisation du parti dans le sens où quelles que soient les crises que le Hezbollah pourra connaître et, quelle que soit son image au sein de la société libanaise, arabe, musulmane, sa capacité de fidélisation semble vouée, au moins pour le moment, à se maintenir au même niveau.