Conseiller de François Hollande à l’Élysée, Christophe Pierrel publie "Ils votent Marine et ils vous emmerdent ! Voyage dans la France FN", (Ed. (La Tengo), qui raconte les électeurs de Marine Le Pen et qui appelle la classe politique à un sursaut.
C’est dorénavant un exercice attendu. Les livres des anciens conseillers de François Hollande se bousculent en librairie. Mais à la différence des témoignages de Gaspard Gantzer, Vincent Feltesse ou Aquilino Morelle, le livre de Christophe Pierrel, chef de cabinet adjoint du président de la République entre janvier 2015 et décembre 2016, ne se veut pas autocentré. "Je ne voulais pas parler de moi. C’est tellement anecdotique et égocentrique de parler de son expérience à l’Élysée", explique-t-il lorsqu’on l’interroge sur cette différence d’approche. Son objectif, dit-il, était d’écouter les électeurs de Marine Le Pen, de comprendre leur détresse et leur défiance. Christophe Pierrel a donc parcouru la France, en particulier rurale, durant la campagne présidentielle. Il y a découvert un "profond sentiment d’abandon" chez les citoyens et en a tiré la conclusion qu’il y avait urgence à remettre la politique au goût du jour face à la technocratie qu’incarne selon lui Emmanuel Macron.
France 24 : Comment vous est venue l’idée d’écrire "Ils votent Marine et ils vous emmerdent !" ?
Christophe Pierrel : Après avoir passé deux années à l’Élysée comme chef de cabinet adjoint de François Hollande, j’ai voulu comprendre comment on était arrivé dans une situation où le président ne pouvait pas se représenter et où le Front national était annoncé très haut dans les sondages du premier tour de l’élection présidentielle. Pour moi, il était inconcevable que ces très nombreux électeurs potentiels de Marine Le Pen soient tous xénophobes. Donc j’ai voulu comprendre ce que nous avions raté, ce que les partis républicains avaient raté, en allant à la rencontre de ces Français pendant la campagne présidentielle.
Et qu’avez-vous compris ?
J’ai pu saisir le profond sentiment d’abandon des citoyens et le décalage qui peut exister entre, d’un côté, ce que vous pensez bien faire et, de l’autre, le ressenti des gens. Sur les 36 000 communes que compte la France, 19 000 communes ont porté Marine Le Pen en tête au premier tour de la présidentielle. Ce sont des communes rurales en majorité. Or, quand on est aux manettes, on fait des choses qui nous semblent utiles et importantes, mais si vous ne dialoguez pas, vous pouvez faire des erreurs et ne pas viser juste. Au final, même si vous mettez des millions pour rénover des routes, si le bureau de poste ou le bistrot ferme dans une commune rurale, ça a bien plus d’impact dans le quotidien. Quand ces lieux de sociabilité ferment, en effet, c’est tout un environnement qui se dégrade. Ce sentiment d’abandon du monde rural, ajouté à celui de la classe ouvrière, cela donne de nombreux Français qui ne font plus confiance aux politiques et qui votent FN pour envoyer un message clair, radical.
Et vous n’aviez pas conscience de ce sentiment d’abandon en étant à l’Élysée ?
Durant mes années au côté de François Hollande, on a fait beaucoup de technique, beaucoup de communication, mais on a oublié de faire de la politique, de se battre pour des idées. C’est vrai que l’Élysée participe de cet enfermement. Ce qui m’a marqué, c’est de ne pas savoir si les gens autour de moi étaient de gauche ou de droite. Je travaillais avec beaucoup de technocrates sans connaître la source de leur engagement et je n’étais même pas certain que ces gens avaient des convictions politiques. À l’Élysée, j’ai vu des gens qui parlaient statistiques, croissance, chiffres, mais qui oubliaient les humains qui sont derrière. Car les chiffres du chômage, c’est aussi et surtout des personnes qui souffrent. Pour ma part, j’ai un vrai engagement politique et j’ai tenté de me faire entendre auprès de François Hollande. Parfois j’ai été entendu, mais le plus souvent, non. J’ai perdu mes combats. C’est pour cette raison que je suis parti fin 2016, juste avant l’annonce du président de ne pas se représenter.
Vous dites dans votre livre que Marine Le Pen a beau avoir perdu la présidentielle, elle a réussi à imposer ses idées…
Non seulement ses idées se sont installées, mais les partis républicains sont coupables de les avoir laissés s’installer. Quand Manuel Valls passe tout un été à parler du burkini, le glissement s’opère. Et quand on entend les discours de Laurent Wauquiez, probable futur patron du parti Les Républicains, on voit bien que les idées du FN vont continuer à prospérer. Or, pour combattre le FN, il ne faut pas adopter son langage et ses idées, mais être très ferme sur ses convictions.
Les partis républicains peuvent-ils espérer récupérer ces électeurs ?
Oui, c’est possible si on se réveille assez tôt, si on mène à nouveau le combat des idées et qu’on est à côté de ceux qui ont besoin de nous avec une ligne politique claire. Ça va être un peu long et ça va demander beaucoup d’efforts pour placer notre combat collectif avant la question des personnes. Je pense que ça passera aussi d’abord par les collectivités locales. Si on parvient à régler les problèmes des gens au niveau des territoires, à la base, les gens pourront nous faire confiance à nouveau par la suite.
Le début de mandat d’Emmanuel Macron répond-il aux problèmes des Français que vous avez rencontrés selon vous ?
Clairement, non. Il mène une politique très technocratique avec, souvent, un décalage entre les grands discours et les actes concrets. Sa politique est-elle faite pour les plus riches ou bien pour les gens que je décris dans mon livre ? La baisse de 5 euros des APL est peut-être symbolique – même si, pour certains, cette baisse est tout sauf anecdotique – mais quand, dans le même temps, on supprime l’ISF, c’est quelque chose que les citoyens ne supportent plus. Le symbole est important et il met en évidence la défaite du politique face à la technocratie en 2017.