logo

"L’Art de perdre", d’Alice Zeniter, un roman sur l'actuelle question de l’exil

"L’Art de perdre", d’Alice Zeniter, a remporté jeudi le Goncourt des lycéens. Ce roman sur l'exil raconte le parcours, sur trois générations, d'une famille kabyle de la guerre d’Algérie à nos jours.

Faire taire le silence. Mettre à bas les préjugés sur les harkis. Avec "L’Art de perdre" (Flammarion), Alice Zeniter brise les non-dits qui entourent la guerre d’Algérie dans une épopée familiale qui s’étend sur trois générations et a remporté jeudi 16 novembre le prix Goncourt des lycéens.

La fresque prend sa source en Kabylie, avec Ali, un paysan respectable qui s’enrichit à la faveur du destin dans la production et la vente d’huile d’olive. Avec sa femme Yema et ses premiers enfants, il mène une existence confortable jusqu’à ce que la guerre d’indépendance vienne frapper aux portes du village. Sommé de se ranger du côté des sécessionnistes ou des Français, le patriarche fait le choix "d'être protégé d'assassins qu'il déteste par d'autres assassins qu'il déteste". Une décision lourde de conséquences qui contraint sa famille à l’exil, de l’autre côté de la Méditerranée, et le plonge dans une autre histoire, celle de la France.

Entretien avec Alice Zeniter dans l'émission "À l'affiche!" sur France 24

À son arrivée dans ce nouveau pays dont il ignore tout jusqu’à la langue, la famille est parquée dans le camp de Rivesaltes, où ont été "accueillis" plus tôt les républicains espagnols fuyant Franco, les juifs et les Tziganes raflés par Vichy. "L'Algérie les appellera des rats. Des traîtres. Des chiens. Des apostats. Des bandits. Des impurs. La France ne les appellera pas, ou si peu. La France se coud la bouche en entourant de barbelés les camps d'accueil", écrit Alice Zeniter. Après de longs mois passés dans la boue et le froid, l’errance familiale s’arrête dans une cité HLM de l’Orne.

Un écho avec la crise des migrants

Au-delà de la guerre d’Algérie, c’est avant tout un roman sur l’exil. "Je me suis lancée dans cette entreprise au moment où j’ai réalisé le parallèle avec la situation actuelle des migrants, explique l’auteure sur France 24. Parler de cette histoire, c’était parler d’un voyage qui ne finit jamais et dont il est impossible de déterminer l’arrivée." Car l’exil entraîne dans son sillage les générations suivantes.

C’est aussi une histoire sur la transmission. Le fils aîné d’Ali, Hamid, qui voit son père, ancien notable respecté de son village réduit aux tâches répétitives et harassantes qu’impose l’usine, diminué dans un appartement exigu, fait table rase du passé. De sa Kabylie natale et sa fuite vers la France, il ne racontera rien à ses enfants. Dans la troisième et dernière partie du roman, c’est pourtant Naïma, la petite fille de harki et galériste parisienne branchée, qui enquête sur ses origines algériennes. Elle fait resurgir l’histoire familiale du passé. "Plus que la question des harkis, le livre questionne ce qui se transmet d'une génération à l'autre", précise Alice Zeniter.

L’écrivaine, née à Alençon d’une mère normande et d'un père lui-même fils de harki, aurait pu écrire ce livre à la première personne. "Ça faisait quelques années que je me disais qu’un jour, je creuserais ce silence dont j’avais hérité et qui faisait que je ne savais pas pourquoi ma famille était arrivée d’Algérie en 62", confie-t-elle sur France 24.

Passionnant, prenant, une émouvante histoire ! J'attaque la 3ème et dernière partie de "L'art de perdre" de Alice Zeniter @Ed_Flammarion pic.twitter.com/QZdltO6oX2

  Florence&Littérature (@Florence31000) 17 octobre 2017

"Un pays ne passe pas dans le sang, dans les gènes"

Paradoxalement, le livre suggère que la quête de sa propre identité ne passe pas forcément par la connaissance de ses propres racines. "On n’a jamais vu un arbre pousser à plus de mille kilomètres de ses racines", lance Hamid, dans la deuxième partie du livre qui lui est consacré. Un point de vue que la romancière de 31 ans partage avec son personnage. "Le livre montre que l’idée des racines est une idée erronée. Un pays ne passe pas dans le sang, dans les gènes. Un pays se transmet par ses paroles et les passeurs que l’on se choisit."

Pas de réquisitoire ni de règlement de compte dans ce roman, juste une manière de raconter, sans ambages, la grande histoire à hauteur d’homme et de rendre compte d’une expérience sensible à travers plusieurs points de vue. "Je n’attends pas à ce que l’on soit d’accord, je ne dis pas que les personnages ont raison, je vous propose de passer par leur expérience pour voir ce que eux appelaient ‘Algérie’". Un livre de combats, concède toutefois l’auteure. "Pour échapper à certains déterminismes et choisir sa vie."

#VendrediLecture
Je termine "l'art de perdre" d'Alice Zeniter". Je comprends mieux l'Histoire de l'Algérie. Excellent roman.

  Dina Bail (@DinaBail) 13 octobre 2017

Plus d'un demi-siècle après la signature des accords d'Évian, la guerre d'Algérie n’en a pas fini avec la littérature. Dans la première sélection des ouvrages retenus pour le Goncourt, deux autres livres avaient l’Algérie pour toile de fond : "Nos richesses" de Kaouther Adimi et "Un loup pour l’homme" de Brigitte Giraud.

Cinquième roman d'Alice Zeniter, "L'art de perdre" a déjà été récompensé par le prix littéraire du journal Le Monde, le prix des libraires de Nancy et le prix Landerneau des lecteurs. Il est toujours en lice pour l'Interallié.

Mis à jour le 16/12/2017 après l'annonce de la remise du Goncourt des lycéens à Alice Zeniter.