À Raqqa, où les Forces démocratiques syriennes ont repris le contrôle, la situation humanitaire est critique, notamment pour les 140 000 enfants qui ont été témoins de scènes de violence inouïe pendant des années, rapporte l’ONG Save The Children.
Raqqa, l’ancienne place forte des jihadistes, est tombée, mardi 17 octobre, au terme de plusieurs mois de combats meurtriers et de bombardements ravageurs, qui ont entraîné la fuite de centaines de milliers de Syriens. "L'offensive militaire à Raqqa arrive peut-être à son terme, mais la crise humanitaire est plus grave que jamais", déplore l'organisation non gouvernementale Save the Children, présente dans plusieurs camps aux alentours de la ville. La plupart des familles n'ont plus de maison "et seront probablement coincées dans les camps pour des mois ou des années à venir". Sans oublier que les enfants ont été marqués à jamais par ces images de guerre, de violence et de destruction.
Le responsable du bureau Moyen-Orient de cette ONG, Alun MacDonald, basé en Jordanie, revient pour France 24 sur le traumatisme vécu par ces enfants de la guerre et dresse des pistes pour les aider à se relever. Entretien.
France 24 : Les Forces démocratiques syriennes ont repris le contrôle de Raqqa après quatre années de guerre. Quel a été le quotidien des enfants pendant cette période ?
Alun MacDonald : La plupart des enfants de Raqqa ont été au cœur des combats pendant plusieurs mois, avant de rejoindre les camps aux alentours de la ville. Selon notre équipe sur place, certains ont été témoins de scènes d’horreur : exécutions dans les rues, décapitations, amis ou proches tués sous leurs yeux par l’explosion d’une mine. D’autres ont vu leur maison tomber sous les bombes.
Avec leurs parents, beaucoup ont quitté cette violence inouïe en fuyant la ville. Sur la route, ils ont marché tombant parfois nez à nez avec des corps jonchant le sol. Surtout, ils devaient veiller à tout instant à ne pas mettre les pieds sur des mines. Finalement, ils ont rejoint des camps saturés où le manque d’eau et de nourriture est criant. On y dénombre environ 270 000 civils, dont la moitié sont des enfants. La plupart sont traumatisés au point de faire des cauchemars ou pipi au lit.
De quoi ont-ils besoin en priorité aujourd’hui ?
Dans un premier temps, il leur faut à manger et à boire, mais aussi un toit. Il ne faut pas oublier que l’hiver approche et que les températures dans cette région de Syrie vont chuter. Il faut donc les placer en sécurité, au chaud et leur apporter des soins. À moyen terme, il faut penser à les rescolariser car ils n’ont pas été à l’école depuis au moins trois ans (l’organisation de l’État islamique a pris le contrôle de Raqqa début 2014 en délogeant les groupes rebelles installés depuis mars 2013, NDLR).
Cela prendra-t-il du temps pour les remettre sur les bancs de l’école ?
Des écoles ont été détruites dans les combats. Nous ne savons pas combien de temps il faudra pour les reconstruire. Peur-être des mois, voire des années sûrement. Il faudra des investissements substantiels pour la reconstruction des établissements et leur offrir les moyens d'y retourner. En attendant, il est possible d’organiser des cours dans les camps, dans des grandes tentes. Il suffit de tableaux noirs, de bureaux et de quelques livres pour recréer un environnement scolaire. L’école est une excellente façon de leur permettre de retrouver un semblant de normalité dans leur quotidien.
Comment faire pour réparer quatre années de guerre et de dommages psychologiques ?
C’est un énorme défi que d’aider des enfants à guérir d’un tel traumatisme. Des récits sont vraiment terribles (...). Il va falloir beaucoup de temps. Nous sommes très inquiets de l’impact psychologique après toutes ces années. Mais il est possible d’amorcer une première étape de normalisation, qui a pour but de les resocialiser. Pour cela, il faut leur offrir une sécurité affective afin de leur donner envie de jouer, d’apprendre et d’oublier ce par quoi ils sont passés.
Aussi, nous pouvons mettre en place des programmes qui ont très bien marché dans d’autres pays, comme la peinture ou le théâtre. Ces activités permettent aux enfants de s’exprimer, d’extérioriser leurs sentiments, et de les aider à passer à autre chose. Certains auront la chance de rencontrer des professionnels qui seront à leur écoute. Cela ne concernera que ceux qui en ont le plus besoin car il y a peu de psychologues pour enfants dans le pays - c'était déjà le cas avant la guerre. Le plus important est d’aller vite pour leur offrir ce soutien affectif.