de notre envoyé spécial à Caracas – Les élections régionales, qui se tiennent dimanche au Venezuela dans des conditions difficiles, seront décisives dans l’épreuve de force engagée entre le gouvernement Maduro et l'opposition.
Lorsque Carlo Rodrigue arrive dans son bureau de vote habituel, dimanche 15 octobre, sur la colline de Bello Monte, il n'en croit pas ses yeux : l'adresse du bureau de vote a changé. Un écriteau, collé sur le mur du collège Fray Luis Amigo, indique : "Le centre de vote a été réimplanté".
Dans ce quartier aisé de Caracas, qui fait partie de l'État de Miranda, c'est dans ce collège que les électeurs sont invités depuis plusieurs dizaines d'années à glisser leur bulletin dans l'urne. Mais pour les élections régionales de dimanche, pour lesquelles plus de 18 millions de Vénézuéliens sont appelés aux urnes, le Conseil national électoral (CNE) en a décidé autrement.
Ainsi, ce sont près de 200 bureaux de vote qui ont été déplacés, affectant près de 700 000 électeurs et ce, principalement dans les quartiers d'opposition. Les nouvelles adresses n'ont été publiées sur le site Internet du CNE que la veille de l’élection, créant beaucoup de confusions.
"Ils veulent démotiver les gens"
Pour Benigno Alarcon, directeur du Centre d'études politiques de l’université catholique de Caracas (UCAB), la stratégie du gouvernement est simple. "Leur unique manière d'avoir des gouverneurs consiste à empêcher l'opposition de voter car le rapport de vote est clairement en sa faveur. Ils veulent démotiver les gens. Souvent, les nouveaux bureaux sont placés dans des quartiers plus dangereux pour rebuter les votants."
Depuis 2015, le parti de Nicolas Maduro, le PSUV, est au pouvoir dans 21 des 23 régions du pays. Mais le rapport de force semble en passe de s’inverser en faveur de l'opposition. Selon les politologues, la MUD, la Table pour l'union démocratique, qui a dénoncé les conditions de la tenue de l’élection mais appelé à se rendre aux urnes, pourrait remporter entre 12 et 18 régions. Une victoire serait pour l’opposition une première étape dans la reconquête du pouvoir, avant la présidentielle prévue en octobre 2018.
"Nous allons voter dans les pires conditions que le Venezuela aient connues mais nous n'offrirons pas ce vote à Maduro", affirme Henrique Capriles, gouverneur sortant de l'État de Miranda et figure de l'opposition.
Outre les réaffectations des bureaux de vote, l'opposition et les ONG locales dénoncent le fait que les élections pour les conseils législatifs régionaux ne se tiennent pas en même temps que celles des gouverneurs, bien que la Constitution le prévoit.
"La plupart des conseils régionaux sont actuellement aux mains de l'État, explique Ayrton Monsalve, de l'ONG Todosahora. "Dans la mesure où ils ne seront pas réélus, les nouveaux gouverneurs devront faire avec des conseils élus en 2015. Ceci est complètement illégal."
Les Vénézuéliens entre la colère et la peur
Juan Bautista Gomez vit dans un quartier sécurisé à l'Est de Caracas, dans l'État de Miranda, dans une maison à l'abandon, vestige de son ancienne prospérité.
"Je ne peux pas vous montrer le jardin, il est en friche." Cet homme qui travaillait dans le cinéma a été exproprié de son atelier de création de décors et d'accessoires en 2013. Depuis, il survit, arborant sans cesse une casquette aux couleurs du Venezuela. Il tient à nous montrer son frigo, vide. "Je suis sur la liste noire, j'ai signé toutes les pétitions contre le gouvernement, et donc je n'ai pas droit à l'aide alimentaire."
Juan Bautista survit en réparant des pièces mécaniques dans son atelier. "Le gouvernement fait beaucoup d'erreurs, les gens ont faim, ils n'ont accès ni aux soins ni à la sécurité. Ils ont seulement les militaires de leur côté. C'est important de voter pour dire que nous ne voulons pas de Maduro. Je n'ai pas d'armes, le gouvernement si, mon arme est le vote, c'est la seule chose que j'ai."
Ce sentiment est partagé dans les quartiers les plus pauvres. Sur les hauteurs du bidonville d'Antimana, à Caracas, seuls les 4x4 peuvent circuler. L'électricité, l'eau, la nourriture, non.
Deisy, 31 ans, vit dans une structure de bois et de tôle avec ses six enfants. "L'aide du gouvernement ne nous suffit pas, je dois choisir chaque mois entre acheter une paire de chaussures et nourrir mes enfants."
Dans ce quartier, Hugo Chavez est encore respecté, mais son successeur, Nicolas Maduro, ne convainc presque plus personne. "Maduro parle beaucoup mais nous ne voyons aucune solution", déclare Deisy. Pour survivre, la jeune femme a commencé à planter quelques haricots sur son bout de terrain.
À quelques pas de là, Yaraira, 39 ans, a la chance de vivre dans une structure en dur avec ses trois enfants et son mari. Elle vote dans l'État de Miranda où elle a encore sa résidence. "Si tu ne votes pas, ils le savent et peuvent t'enlever les aides de l'État", explique-t-elle.
Dans ce quartier, l'opposition est perçue comme dominée par les classes supérieures, les "riches", et n'a pas le soutien de la population. Pourtant, ici, les habitants espèrent une suite démocratique à la présidence de Nicolas Maduro.