
L’Unesco vote à partir de lundi pour élire son directeur général. Des pays du monde arabe, Égypte en tête, fustigent la candidature française et tournent le dos à d'importants contributeurs alors que l’institution fait face à une crise financière.
La plus grande organisation culturelle mondiale est en ébullition. À partir de lundi 9 octobre au soir, les 58 membres du conseil exécutif de l’Unesco votent à bulletin secret au siège de l’organisation onusienne chargée de la culture et de l’éducation, à Paris, pour élire leur nouveau directeur général. Sept personnalités sont en lice pour succéder à la Bulgare Irina Bokova et récupérer un bébé vieux de 72 ans, qui a connu des jours meilleurs.
En pleine crise, l’Unesco fait face depuis 2011 à l’arrêt des contributions financière américaines et israéliennes, après qu’elle a admis la Palestine en son sein. Soit une coupe nette de plus de 20% dans son budget. Sans compter le coup de sang du Japon, deuxième plus gros contributeur, qui a refusé de payer sa quote-part en 2016 suite à l'inscription, en 2015, au Registre de la mémoire du monde, du massacre de Nankin, commis par l'armée impériale japonaise en 1937.
L’organisme onusien pâtit également de sa politisation – en mai, une de ses résolutions dénonçait la loi d’annexion de Jérusalem-Est par Israël, attirant les foudres de Tel Aviv – et peine à asseoir son identité. "C'est une organisation qui a été détournée de son mandat, elle est devenue la caisse de résonance des conflits internationaux et cela se traduit par une véritable prise d'otages politique et financière", déplore à Reuters un ancien ambassadeur européen à l'Unesco.
Polémique sur la candidature française
Cerise sur le gâteau, l’Unesco s’écharpe en interne sur la désignation de son nouveau directeur, qui deviendra de facto l’ambassadeur de la politique "soft-power" de son État. Dans ce jeu diplomatique, chaque voix des 58 votants compte. Le monde arabe, avec trois candidats (Qatar, Égypte et Liban, le candidat irakien ayant finalement jeté l’éponge) et dont aucun représentant n’a encore dirigé l’institution, estime que son heure est arrivée. Mais ce tacite constat a été bafoué selon eux à la fin du quinquennat de François Hollande, lorsque ce dernier a annoncé la candidature de sa ministre de la Culture, Audrey Azoulay, depuis ouvertement soutenue par Emmanuel Macron.
l'#UNESCO doit se concentrer sur ses grandes missions: l’Éducation, le progrès scientifique, la protection & la reconstruction du patrimoine
Audrey Azoulay (@AAzoulay) 8 octobre 2017La nouvelle a provoqué une levée de boucliers dans le monde arabe, intellectuels égyptiens en tête. Dans un communiqué remis en juin au ministre des Affaires étrangères Jean-Yves le Drian, ils dénoncent "une tentative de profiter des procédures démocratiques en vue d’accaparer des postes de direction qu’il est convenu d’attribuer sur la base de l’alternance", et fustigent la candidature du pays hébergeant le siège de l’institution, ce qu’une autre règle tacite serait censée interdire pour assurer une concurrence équitable. Pourtant, de 1961 à 1974, son directeur, René Maheu, était français. "La règle d’une alternance régionale n’existe pas, et je n’ai pas envie de m’engager dans ce débat, qui n’a guère de rapport avec les enjeux de l’Unesco. Je préfère parler du fond", s’agaçait Audrey Azoulay en septembre.
L’Égypte, le Qatar et la Chine favoris
Accord tacite ou pas, la candidature de la haute fonctionnaire franco-marocaine, fille du conseiller du roi du Maroc, fait de l’ombre aux favoris, le Qatari Hamad bin Abdulaziz al-Kawari et l'Égyptienne Moushira Khattab. Le premier, ancien ministre de la Culture, bénéficie d’une certaine notoriété à l’international et surtout d’un carnet de chèque garni et généreux, un argument de poids pour une institution aux abois financièrement. Mais la crise du Golfe, qui a mis le Qatar au ban d’une partie du monde arabe, a sabré le nombre de votes qu’il peut espérer lundi.
La diplomate et militante des droits de l’Homme, Moushira Khattab, profite de la situation de son concurrent et savoure ses chances d’emporter la course à la tête de l’Unesco. "Qui mieux qu'une femme arabe et musulmane qui dispose des qualifications requises peut parler contre tous les radicalismes ? Sans compter que l'Égypte, mon pays, est en paix au Moyen-Orient depuis quarante ans et peut parler aux Israéliens et aux Palestiniens", argue-t-elle dans une interview au Point. Ancienne ministre du président Hosni Moubarak, elle est soutenue par le maréchal Sissi, deux hommes au bilan très discutable sur le plan des droits de l’Homme, ce qui ternit sa candidature. Une situation comparable à l’autre favori chinois, Qian Tang, présent à l’Unesco depuis 20 ans, mais dont le pays, pourtant lui aussi généreux donateur, ne peut pas être qualifié de grande démocratie et doit faire face au veto japonais.
Quant à la dernière concurrente arabe, la Libanaise Vera El Khoury Lacœuilhe, elle n’a pas beaucoup de chances de l’emporter. "Son statut de protégée d’un homme d’affaires à la réputation sulfureuse – le Libano-Nigérian Gilbert Chagoury– prend à rebrousse-poil", analyse une enquête du Monde.
Les défis qui attendent le futur directeur général sont de taille, et la poursuite de querelles diplomatiques ne peuvent qu’entacher la crédibilité d’une institution qui doit se renouveler sans tarder. "C'est une organisation fragile qui ne dispose ni des moyens humains ni des moyens financiers. Il lui faut une direction solide", souligne à Reuters une source diplomatique française.