
Un défilé de combattants du Hezbollah dans la banlieue sud de Beyrouth, le 27 septembre 2024, durant le conflit avec Israël. © AFP, STR
Le mardi 5 août 2025 fera sans doute date au pays du cèdre. Les autorités libanaises ont chargé l’armée de préparer un plan de désarmement du Hezbollah, prévu d’ici la fin de l’année. Deux jours plus tard, le calendrier du projet a été discuté en conseil des ministres. "C'est proprement historique : un tabou vient d'être brisé", commente Joseph Bahout, directeur de l'Institut Issam Farès, à Beyrouth.
Le Hezbollah, parti politique, mais aussi puissante milice chiite, est le seul à avoir conservé son arsenal depuis la fin de la guerre civile, en 1990. Pour justifier cette exception, la formation pro-iranienne invoque une cause nationale : incarner la "résistance" du Liban face à Israël, qui a occupé le sud du pays de 1978 à 2000.
Au lendemain du 7-Octobre, le Hezbollah lançait des salves de roquettes sur le nord d'Israël, en solidarité avec le peuple de Gaza, bombardé par l'État hébreu. Un conflit de basse intensité s'engageait ainsi entre les deux parties, avant de se muer en guerre totale un an plus tard, en septembre 2024.
Signé en novembre 2024, le cessez-le-feu est depuis régulièrement violé par Israël, qui maintient en outre une présence militaire à partir de cinq positions sur le territoire libanais.
Selon un plan actuellement préparé par Beyrouth, l'armée israélienne devra quitter ces bases avancées, conformément "à la feuille de route" conçue par Washington.
Rendre les armes ou "signer son arrêt de mort"
En adoptant ce projet de désarmement, le gouvernement libanais a commis un "péché grave", cinglait le Hezbollah mercredi. Le ton de son communiqué est clair : le parti de Dieu "fera comme si cette décision n'existait pas".
"Il n’a pourtant que deux options : rendre les armes et rester une force politique, ou signer son arrêt de mort", estime Adel Bakawan, directeur du European Institute for Studies on the Middle East and North Africa. Car, s'il persiste dans son refus, le Hezbollah fournira une excuse "toute trouvée à Israël pour détruire ce qui reste de son arsenal", explique l'expert.
Sous le feu israélien depuis octobre 2023, essuyant une guerre de haute intensité en septembre 2024, le Hezbollah a déjà perdu environ 4 000 hommes, selon des sources israéliennes. Nombre d'entre eux étaient des dignitaires de haut rang, dont le chef historique et visage du parti, Hassan Nasrallah.
Affaibli sur son propre sol, le Hezbollah l'est aussi à l'échelle du Moyen-Orient post 7-Octobre. En Syrie, son allié, le régime du clan Assad, s'est effondré en décembre. Situé au cœur de l'arc chiite s'étendant du sud Liban à l'Iran, le territoire syrien constituait pour le Hezbollah un précieux corridor territorial par lequel transitaient les armes du "parrain" iranien.
Et la République islamique d'Iran sort elle aussi amoindrie d'une confrontation militaire avec Israël, suivie de frappes américaines sur ses installations nucléaires, en juin. Désormais, "l'Iran n'est plus en mesure de livrer une seule Kalashnikov au Hezbollah", affirme Adel Bakawan.
"Calmer la crainte des chiites"
Toutefois, le Hezbollah dispose toujours d’un important levier, son assise communautaire. Jeudi, une foule de ses partisans défilait à moto dans la banlieue sud de Beyrouth, fief du mouvement. D’autres cortèges ont été signalés dans ses bastions ailleurs dans le pays.
Dans le système confessionnel libanais, le Hezbollah représente, aux côtés du parti Amal, l'incarnation politique de la communauté chiite. Ainsi, le raidissement du Hezbollah sur la question de son désarmement s'explique par une inquiétude, selon Joseph Bahout : quel poids pèsera la communauté chiite dans l'équilibre politique libanais si la milice rend les armes ?
Les violences qui ont endeuillé la communauté alaouite en Syrie, dont 1500 membres ont été tués, et druze, qui compte des centaines de victimes, "ne facilitent guère le désarmement du Hezbollah", souligne le politologue.
Car la situation en Syrie offre au Hezbollah un argument auprès de sa base : "Regardez ce qui s'est passé là-bas, voilà ce qui pourrait nous arriver à nous aussi si demain nous étions désarmés."
Pour convaincre la milice de déposer les armes, les autorités devront donc "calmer la crainte des chiites", estime Joseph Bahout. "Le président de la République devra assurer à la communauté que le désarmement du Hezbollah ne signifiera en rien son affaiblissement politique."
La fin de "l'ordre milicien" ?
Mais si les autorités vont devoir mener un travail "psycho-politique", l'option militaire "n'est envisagée ni par l'armée, ni par les autorités", poursuit cet expert.
"Le gouvernement ne souhaite pas s'engager dans une guerre civile", confirme Adel Bakawan. "En outre, pourquoi l'État libanais se risquerait-il dans une guerre que l'État hébreu mènera de toute façon à sa place ?"
"Je crois que même le Hezbollah ne veut pas la guerre civile", ajoute de son côté Joseph Bahout. "Les ministres affiliés au parti n'ont pas démissionné du gouvernement, malgré l'annonce du projet de désarmement. Les protestations de soutien à la formation chiite restent relativement limitées. Ce sont là deux signes rassurants", poursuit le professeur de sciences politiques.
Le parti de Dieu abandonnera-t-il pour autant son arsenal militaire ? Pour Adel Bakawan, la question doit être appréhendée à l'échelle régionale. De Téhéran à Beyrouth, "face aux pressions américaines, les acteurs de l'axe de la Résistance ne peuvent plus garder leurs armes".
S'il advient, le désarmement du Hezbollah "précipiterait la fin de l'ordre milicien dans la région", conclut Adel Bakawan. "Nous assisterons alors à un retour de l’ordre étatique au Moyen-Orient."
