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Coup d’État déjoué au Bénin : pourquoi le Nigeria a volé au secours de Patrice Talon ?
Le Nigeria a mené des frappes et déployé des troupes au sol dimanche au Bénin, en soutien à l’armée loyaliste, pour mettre en échec une tentative de coup d’État contre le président Patrice Talon. Une manière pour Abuja de se poser en rempart contre la vague de putschs en Afrique et réaffirmer sa position de puissance régionale. 
Montage photo du président du Nigeria, Bola Ahmed Tinubu, et du président du Bénin, Patrice Talon. © France Media Monde, AFP

Une opération éclaire. Dimanche 7 décembre, alors qu’une tentative de coup d’État est en cours au Bénin, des avions de chasses en provenance de Lagos frappent à plusieurs reprises les positions des soldats mutins dans la capitale économique Cotonou, aux abords de la télévision nationale (ORTB) et dans le camp militaire de Togbin.

Une opération ordonnée par le président nigérian Bola Tinubu, qui s’est révélée décisive pour mettre en déroute les putschistes et reprendre le contrôle de cette base de l’armée, a confirmé lundi le gouvernement béninois. 

L’intervention d’Abuja avait été révélée par des sources sécuritaires nigérianes, puis confirmée dimanche soir dans un communiqué détaillé du conseiller spécial du président nigérian. 

Les autorités nigérianes expliquent avoir répondu à deux demandes distinctes du ministère des Affaires étrangères béninois, via une "note verbale", afin d’obtenir "un soutien aérien immédiat" ainsi qu’une intervention des forces terrestres nigérianes.

Le Bénin a confirmé l’arrivée, dimanche, de la "Force en attente" de la Cédéao (Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest) composée de forces nigérianes mais également ivoiriennes. Dimanche l’organisation sous-régionale a annoncé le déploiement de cette force d’intervention rapide à laquelle doit également se joindre le Ghana et le Sierra Leone. La France a de son côté indiqué avoir fourni un appui de surveillance, d’observation et de logistique aux forces armées béninoises.

"Sauvegarder l’intégrité territoriale" du Nigeria

Dimanche soir, le président Bola Tinubu a rendu hommage aux forces armées nationales intervenues pour "défendre la démocratie". Une opération qui répond également à des enjeux nationaux pour le Nigeria, notamment en matière de sécurité. Car le Bénin fait face à une dégradation de la situation sécuritaire dans les zones frontalières avec le Burkina Faso, le Niger et le Nigeria où le JNIM (affilié à Al-Qaïda) et l'EIGS (branche de l'État islamique) étendent leur emprise.

Les soldats mutins avaient d’ailleurs évoqué les difficultés de l’armée dans le nord pour justifier le coup d’État lors de leur allocution dimanche matin à la télévision nationale.

En avril, 54 soldats béninois sont morts dans des attaques coordonnées du JNIM, un bilan sans précédent. Les groupes terroristes font également des incursions de l’autre côté de la frontière, dans l’ouest du Nigeria, par ailleurs confronté à une vague d’enlèvements, attribuée à des bandits, pour l’obtention de rançons.

Coup d’État déjoué au Bénin : pourquoi le Nigeria a volé au secours de Patrice Talon ?
Carte du Bénin disponible sur le site France Diplomatie. © France 24

"Le gouvernement du Nigeria a considéré que l’intervention au Bénin était essentielle pour sauvegarder sa propre intégrité territoriale", souligne Sam Olukoya, correspondant de France 24 à Lagos. "Les autorités nigérianes ont retenu la leçon après le coup d’État au Niger, il y a deux ans. Les nouvelles autorités militaires n’ont pas coopéré avec le Nigeria pour combattre les jihadistes autour de leur frontière commune. Le gouvernement nigérian veut éviter qu’un scénario similaire ne se produise au Bénin".

Le précédent du Niger

Le 26 juillet 2023, le président Mohammed Bazoum était renversé par des éléments de sa garde présidentielle, dirigés par le général Abdourahamane Tiani. Bola Tinubu, fraîchement élu président du Nigeria et qui occupait alors la présidence tournante de la Cedeao, avait agité la menace d’une intervention militaire pour rétablir le président à son poste. Une opération qui avait fait débat au sein de l’organisation, jugée trop dangereuse et finalement avortée.  

"Une intervention au Niger aurait été beaucoup plus risqué pour le Nigeria que celle qu’il a mené au Bénin, pour des raisons à la fois de logistiques, le Niger étant un pays dix fois plus grand, mais également de politique intérieure", analyse Seidik Abba, président du Centre international d’études et de réflexions sur le Sahel (Cires).

"Le nord du Nigeria et le sud du Niger sont peuplés par les mêmes ethnies, Haoussas, Peuls et Kanouris. Une intervention militaire aurait créé une crise politique interne au Nigeria", poursuit-il. "À cela s‘ajoute le fait que le président Bazoum avait déjà été renversé, ce qui n’était pas le cas de Patrice Talon au Bénin. Il était donc encore possible pour le Nigeria d’intervenir à sa demande", conclut l’expert.

Réaffirmer sa puissance

L’épisode du Niger a été perçu comme un échec cuisant pour le président nigérian, alors en poste depuis à peine deux mois. Dénonçant un "plan d'agression contre un pays souverain", le Niger, le Mali et le Burkina, tous trois gouvernés par des militaires, ont créé, en réaction, une alliance défensive, l’AES et claqué la porte de la Cédéao. Deux ans après le coup d’État, le président Bazoum est quant à lui toujours détenu au Niger.

En intervenant au Bénin, "le Nigeria qui a connu un véritable camouflet en 2023, tente de réaffirmer son statut de grande puissance sous-régionale", souligne Niagale Bagayoko, présidente du centre de recherche African Security Sector Network.

Première puissance d’Afrique de l’Ouest, aussi bien sur le plan économique, que militaire et démographique, le Nigeria a déjà dirigé plusieurs opérations militaires dans la région : au Liberia (1990-1997), pour stopper la guerre civile, au Sierra Leone (1997-2000), en soutien au président renversé Ahmad Tejan Kabbah, et plus récemment en Gambie (2017), pour contraindre Yahya Jammeh à quitter le pouvoir après sa défaite électorale.

Des interventions conduites au sein de l’ECOMOG, force multilatérale, remplacée en 2004 par la "Force en attente" de la Cedeao, et dont le Nigeria était déjà le principal contributeur.

L’opération du Nigeria au Bénin ravive cette "hégémonie passée", souligne Niagale Bagayoko. Elle permet également d'envoyer un signal fort dans une Afrique de l’Ouest, traversée ces dernières années par une série de coups d’États, au Mali, Burkina Faso, Niger, en Guinée et tout récemment en Guinée-Bissau.

"Cette vague de putschs est perçue par le président nigérian comme une menace pour son propre pouvoir", souligne le correspondant Sam Olukoya. "D’autant plus que la rumeur d’une tentative de coup d'État a récemment circulé au Nigeria, bien que celle-ci n’a pas été confirmée par le gouvernement", précise-t-il. Une manière donc, pour Bola Tinubu, de porter haut les valeurs démocratiques, tout en refroidissant les ardeurs des aspirants putschistes, y compris dans son propre pays.