
CaixaBank, Banco de Sabadell, Gas Natural. Au total, une dizaine d'entreprises catalanes inquiètes quant à une probable déclaration d'indépendance de la région ont délocalisé leur siège social cette semaine. Un coup dur pour les indépendantistes.
La dégringolade boursière et les retraits d'argent de clients ont poussé les banques catalanes à franchir le pas. Inquiètes face à "la situation politique et sociale actuelle" en Catalogne, les deux banques espagnoles CaixaBank, troisième du pays, et Banco de Sabadell, au cinquième rang, ont décidé, suite au référendum interdit du 1er octobre, de transférer leur siège social de Barcelone à Valence et Alicante, respectivement.
“Qu’elles soient multinationales ou catalanes, les sociétés ne peuvent se permettre d’être dans l’illégalité”, précise à France 24 Carlos Rivadulla, le vice-président de l’association “Empresaris de Catalunya”, regroupant 400 entrepreneurs hostiles au référendum invalidé par le Conseil constitutionnel. Banco Sabadell avait prévenu qu’elle ne pourrait pas "sortir du cadre réglementaire de la Banque centrale européenne", ce qui lui ferait perdre une source de financement. Elles pourront ainsi continuer à payer leurs impôts à Madrid, et non au Trésor d'une éventuelle Catalogne indépendante.
"Il s'agit d'un changement de siège plus cosmétique que réel, écrit Juan Fernando Robles, professeur de l'école de commerce CEF, dans le quotidien El Economista. Il est évident qu'il s'agit d'un mouvement pour calmer l'incertitude du marché financier et des clients". Néanmoins, face aux préoccupations montantes, les banques "n'ont pas d'autre choix" que de changer de siège social.
Les deux entreprises, qui avaient envisagé cette délocalisation depuis le début du mois de septembre par crainte d'une sortie de l'Union européenne, ont voté ce déménagement en conseil d'administration. Un choix facilité par le gouvernement de Madrid qui a promulgué, vendredi 5 octobre, une loi permettant aux entreprises de transférer plus facilement leur siège d'une région à l'autre. Banco de Sabadell a saisi l'occasion, suivie de la CaixaBank.
"Les entreprises exportatrices ont beaucoup à perdre avec un Catalexit"
Hors du secteur bancaire, la fébrilité est tout aussi grande. Le groupe gazier Gas Natural a officialisé son transfert de domicile social à Madrid, tout comme Aguas de Barcelona, une filiale de Suez Environnement. De son côté, le PDG de Freixenet, n°1 mondial du cava (vin mousseux) annonçait lui aussi envisager un départ.
Des entreprises plus petites ont déjà sauté le pas, comme Oryzon (biotechnologies) ou Dogi (textile). “Qui souhaite réduire son marché de 550 millions d'Européens à 7,5 millions de Catalans ?”, lance Carlos Rivadulla. La scission de la Catalogne restaurerait automatiquement les frontières avec les terres voisines, à savoir les provinces de Valence et d’Aragon, mais aussi avec la France, et provoquerait de facto une sortie de l’Union européenne.
“Les entreprises exportatrices ont beaucoup à perdre puisque la région dépend énormément du reste de l’Espagne”, précise le vice-président de l’association. La Catalogne vend 45 % de sa production sur le marché castillan. “Nous partageons un socle économique, culturel et juridique avec le reste de l’Espagne que les indépendantistes sous-estiment", juge-t-il. À titre d’exemple, il cite le fameux chocolat chaud espagnol “Colacao”, du groupe catalan Nutexpra. “Il est très populaire dans toute l’Espagne alors qu'il n’est pas commercialisé en France", commente-t-il.
Pression économique sur les indépendantistes
Les relations économiques sont toutes aussi fortes avec l'UE : les Vingt-huit représentent 70 % des investissements étrangers dans la région et 65 % des exportations catalanes sont concentrées sur le marché européen. “Ces chiffres révèlent à quel point le divorce serait un désastre économique pour la région”, confirme Carlos Rivadulla qui s’appuie sur l’étude de la banque néerlandaise ING, "La Catalogne, le coût d'être célibataire".
Ce rapport affirme par ailleurs que le “Catalexit aurait de plus graves conséquences que le Brexit” et "ne permettrait pas aux contribuables catalans d'alléger leurs impôts". Dans l’hypothèse d'une sortie même temporaire de l'UE, les exportations à destination de la zone seraient en effet passibles de droits de douane. Conséquences : moins de revenus, moins d’investissements et moins d’emplois, affirment les économistes. Un manque à gagner pour les entreprises estimé à 54 000 milliards d’euros, selon les chiffres du gouvernement espagnol, qui table sur une chute du PIB de 25 à 30 % et de la destrcution de 180 000 emplois.
Le président de la maison d'édition Planeta, la plus importante du monde hispanique basée à Barcelone, s'était dit prêt dès 2012 à quitter la Catalogne en cas d'indépendance. Sur les cinq dernières années, plus de 1 600 entreprises ont déjà franchi le pas.
Cette fuite des entreprises catalanes marque un coup dur pour les indépendantistes qui se targuent que leur région représente 20 % du PIB de l'Espagne. Il se pourrait toutefois que la pression économique ait plus d'impact que la pression politique ou judiciaire.