L'Égypte fut le pays le plus touché au monde par l'épidémie d'hépatite C. Depuis une campagne publique pour éradiquer la maladie a été lancée. L'initiative est un succès et le gouvernement veut désormais combattre le virus à l'échelle mondiale.
En Égypte, la situation sanitaire est dramatique depuis des dizaines d'années. En 2008, le pays affichait le plus haut taux d'infection à l'hépatite C au monde : 14 % de ses habitants étaient atteints par ce virus, selon le gouvernement.
L'épidémie remonte aux années 1960 et 1970. À cette époque, des seringues mal stérilisées, utilisés lors de campagnes de vacination, contribuent à sa propagation. En raison du peu de prévention, l'épidémie continue de s'étendre au cours des années suivantes, jusqu'à atteindre les proportions dramatiques des années 2000.
Le virus a eu des conséquences directes sur l'économie égyptienne : 4 % des dépenses de santé y ont été consacrées, selon une étude conjointe du Centre d'analyses médicales (CDA) aux États-Unis et de l'institut national du foie en Égypte. Si on inclut les dépenses indirectes liées au virus, l'hépatite C coûtait chaque année 1,4 % de son PIB à la nation égyptienne.
L'hépatite C est difficile à détecter et donc à combattre. Environ 20 % des malades atteints par ce virus transmissible par le sang, qui peut conduire à un cancer du foie et une cirrhose, se rétablissent sans avoir besoin de traitement, mais les autres peuvent rester infectés plus de 30 ans sans symptôme. Pourtant, le virus tue davantage de personnes chaque année que nombre de maladies chroniques, y compris le sida, la malaria ou la tuberculose.
Un nouveau traitement
Le gouvernement égyptien a décidé de prendre le problème à bras le corps, aidé par l'émergence d'un nouveau traitement par voie orale en décembre 2013. Jusqu'alors, le traitement standard, l'interferon, était constitué d'injections. Ses effets secondaires sont très lourds et laissent le patient affaibli. De plus, son taux de succès oscille entre 19 et 60 % seulement, en fonction du génotype de la personne traitée.
Le nouveau médicament, le Sofosbuvir, commercialisé en France sous le nom de Sovaldi, n'a que très peu d'effets secondaires. Combiné avec des traitements additionnels variant selon les génotypes des patients, il affiche un taux de réussite compris entre 95 et 98 %, explique le professeur Wahid Doss, président du comité national égyptien pour le contrôle de l'hépatite, à France 24.
"Ce nouveau médicament est plus efficace et plus facile à administrer", résume Charles Gore, président de l'ONG World Hepatitis Alliance, interrogé par France 24.
Surmonter la barrière du prix
Le Sovaldi a tout de la panacée si ce n'est une chose : son prix. Le traitement, d'une durée de 12 semaines, coute près de 71 000 euros, le rendant de fait inaccessible à la majorité des patients.
Critiqué, Gilead, le fabricant, a entendu les reproches qui lui étaient faits. En mars 2014, l'entreprise annonce qu'elle vendra désormais son traitement en Égypte avec une remise de 99 %, baissant ainsi le prix à 512 euros. En 2015, une entreprise locale, Pharco, commence à fabriquer une version générique vendue 68 euros pour trois mois de traitement. Cette baisse drastique du coût permet au gouvernement de lancer sa campagne massive pour éradiquer le virus.
"Il est évident que le gouvernement s'est occupé du problème, estime Charles Gore. Il a vu un intérêt à réaliser cette action plus que louable. On peut le féliciter pour cela. L'épidémie était si étendue que chaque Égyptien connaisait une personne avec l'hépatite C."
Le gouvernement frappe fort : il fait ouvrir 64 centres médicaux consacrés à la lutte contre le virus à travers le pays. Et pour éviter que les zones les moins peuplées soient délaissées, il rend le traitement disponible dans 100 cliniques de plus petites tailles. Depuis que le programme a commencé, 1,7 million de personnes ont été soignées. Les Égyptiens n'ont plus besoin de passer par une interminable file d'attente pour être pris en charge.
Se basant sur ces statistiques, "l'OMS voit aujourd'hui la campagne égyptienne comme un programme pionnier", explique un médecin de cette organisation, le docteur Alaa Hashish.
Un programme victime de son succès
Aujourd'hui, la majorité des infectés déjà diagnostiqués a suivi le traitement. Résultat : les centres créés sont aujourd'hui quasi-déserts : "C'est un problème, déclare le professeur Wahid Doss. La plupart des centres manquent de patients."
Afin de mettre à contribution les équipes dédiées à la lutte contre le virus, le gouvernement a lancé un nouveau programme national. Il vise à identifier les personnes porteuses du virus sans en avoir conscience : 3,3 millions d'Égyptiens seraient concernés, selon des estimations.
En partenariat avec Pharco, l'entreprise qui produit le générique du Sovaldi, le gouvernement a donc lancé huit cliniques mobiles dans le pays pour diagnostiquer gratuitement l'hépatite C. D'ici 2018, 30 millions d'Égyptiens devraient être testés, selon le PDG de l'entreprise, Sherine Helmy.
Tour'n'Cure : se soigner tout en faisant du tourisme
Mais l'Égypte ne veut pas se contenter d'éradiquer le virus sur son territoire. Elle espère jouer un rôle actif dans la lutte contre celui-ci à l'échelle mondiale : 71 millions d’individus sont porteurs chroniques de l’hépatite C. En mai 2016, l'Égypte lance le programme Tour'n'Cure, mêlant tourisme et médecine : pour la somme de 5 900 euros, des patients européens sont invités à passer une semaine dans le pays pour recevoir les soins appropriés. Une initiative parrainée par des célébrités telles que Lionel Messi, le footballeur argentin.
"Ce prix inclut l'intégralité du séjour : vols, hôtel cinq étoiles, examens médicaux, médicaments, ainsi que trois jours de tourisme", explique Mostafa El Sayed, directeur de Tour'n'cure. Les visiteurs peuvent choisir entre visiter le Caire, les pyramides de Louxor ou Charm el-Cheikh.
À l'issue de leur séjour, les patients emportent le reste de leur traitement et c'est leur médecin qui déterminera s'ils sont guéris. Si le traitement est un échec, Tour'n'Cure s'engage à prendre en charge les frais médicaux supplémentaires. Cependant, jusqu'ici, les 200 personnes passées par le programme ont guéri.
L'Égypte est peu attractive pour le tourisme
Mais l'Égypte n'étant pas vue comme une destination de rêve pour les vacances, le traitement égyptien est concurrencé par celui produit par des entreprises indiennes et vendu en ligne.
"Tour'n'Cure met mal à l'aise avec son 'venez visiter nos merveilles et être guéri', estime Charles Gore. Pour être honnête, l'Égypte est loin d'être le pays le plus sûr en ce moment et le régime n'est pas vraiment démocratique."
Selon Mostafa El-Sayed, Tour'n'Cure a conscience de la réticence des touristes à voyager en Égypte. L'intreprise a donc installé un centre régional en Moldavie qui a déjà traité une douzaine de patients ne souhaitant pas voir le pays des pharaons. Le groupe a pour projet d'ouvrir des centres supplémentaires en Asie, en Indonésie et Malaisie notamment.
Sherine Helmy, le PDG de Pharco, comprend quant à lui que les patients étrangers préfèrent avoir recours à la commande de médicaments en ligne. Loin de considérer l'industrie pharmaceutique indienne comme une concurrente, il préfère voir en elle une alliée dans la lutte globale contre le virus : "L'an dernier, nous avons soigné 700 000 personnes mais nous sommes prêts à produire des millions de traitements. Nous souhaitons guérir 37 % des patients à l'échelle mondiale d'ici 2030."
Le photographe et réalisateur de documentaires britannique Tim Coleman fait partie de ceux que Tour'n'Cure a sauvés. Après deux cures inefficaces d'inteferon, il s'est retrouvé en bas de la liste d'attente du service de santé britannique pour recevoir le coûteux traitement de Gilead. Après être tombé sur une publicité pour le programme égyptien, il a participé à Tour'n'Cure et a guéri.
Tim Coleman est aujourd'hui un fervent défenseur du programme égyptien : "Ils ont accompli un vrai miracle, juge-t-il. Ce programme est quelque chose dont les Égyptiens doivent être fiers."
Adapté de l'anglais par Romain Houeix. Retrouvez l'article original ici.