
Le procès d’Abdelkader Merah, frère aîné de l’auteur des attentats de mars 2012 à Toulouse, s’ouvre lundi à Paris. Il est accusé de "complicité d’assassinats" et risque la réclusion criminelle à perpétuité.
Entre le 11 et le 19 mars 2012, Mohamed Merah abattait, à Montauban et Toulouse, au nom du jihadisme trois militaires, un enseignant et trois enfants d'une école juive, avant d'être abattu par le Raid, une unité d'élite de la police, à l'issue de 32 heures de siège suivi par les médias du monde entier. Le procès de son frère Abdelkader, accusé de "complicité", s'ouvre, lundi 2 octobre à Paris, sous haute sécurité.
Les assassinats commis par Mohamed Merah étaient les premiers attentats jihadistes commis en France depuis ceux du GIA algérien en 1995. Ils ont marqué l'avènement d'une nouvelle forme de terrorisme – celle des opérations kamikazes – qui a depuis coûté la vie à 241 personnes dans le pays.

L'enjeu principal du procès, dont les audiences sont programmées sur un mois devant une cour d’assises composée de magistrats professionnels et en présence de 232 parties civiles, sera de déterminer le rôle exact joué par Abdelkader Merah, aujourd'hui âgé de 35 ans, dans les tueries exécutées en solo par son frère, alors âgé de 23 ans. L'homme est accusé d'avoir "sciemment" facilité "la préparation" des crimes de son frère en l'aidant notamment à dérober le scooter utilisé lors des faits.
À ses côtés comparaîtra un délinquant toulousain, Fettah Malki, 34 ans, à qui il est reproché d'avoir fourni des armes, notamment le mini Uzi utilisé lors de l'attaque de l'école juive Ozar Hatorah à Toulouse, ainsi que des munitions, des fonds et un gilet pare-balles estampillé "police".
Les deux hommes sont également poursuivis pour association de malfaiteurs terroriste. Ils ont reconnu la matérialité des faits mais contestent avoir connu les intentions criminelles du jihadiste. Abdelkader Merah risque la réclusion criminelle à perpétuité, Malki, vingt ans de prison.
"Mohamed Merah a été instrumentalisé par tout un groupe"
Le frère aîné du "tueur au scooteur", salafiste radical, avait été repéré dès 2007 et était parti en Égypte en 2009. Pour les services de renseignement, son profil était plus inquiétant que celui de Mohamed. Après les meurtres, il dira notamment : "Je suis fier de mon frère [...]. Tout musulman aimerait se faire tuer par son ennemi".
Dans le dossier, il reconnaît sa participation au vol du scooter de grosse cylindrée utilisée par le cadet pour se déplacer sur les scènes de crimes. Mais il assure que Mohamed a agi à son insu.
Abdelkader, c'est "le mauvais génie" du jihadiste, estime Me Christian Etelin, avocat toulousain, à l’époque où l'aîné était primo-délinquant. Il se décrit comme le modèle de Mohamed mais leurs rapports "sont ambigus, complexes". Sur les cinq condamnations à son casier judiciaire pour violence, entre 2003 et 2009, l'une concerne Mohamed : Abdelkader avait imposé à la maison un chien dangereux, lequel a mordu son jeune frère.
L’autre frère aîné de Mohamed Merah, Abdelghani Merah, sera cité comme témoin lors du procès. Il accuse clairement Abdelkader d’avoir poussé son frère à commettre les attentats. "Mohamed Merah a été instrumentalisé par tout un groupe, en particulier Olivier Corel, ‘l'Émir blanc’, Sabri Essid, Abdelkader Merah... Ils l'ont travaillé, pas à pas, petit à petit, ils lui ont bouffé son cerveau, il ne pensait plus par lui-même. Ils ont envoyé Mohamed Merah faire ce qu'ils n'avaient pas envie de faire, car ils savent qu'à partir du moment où l'on tue au nom de cette doctrine, le bout du chemin, c'est la mort. Il a été téléguidé, telle une marionnette", a-t-il affirmé, lundi matin, sur France Inter.
Abdelkader Merah surnommé "Ben Laden" dans son quartier
Surnommé "Ben Laden" dans son quartier, Abdelkader Merah, était en effet fiché pour sa proximité avec d'autres membres de la mouvance islamiste radicale toulousaine, dont les frères Fabien et Jean-Michel Clain, les voix des revendications des attentats du 13 novembre à Paris.
Abdelkader Merah ne pouvait "ignorer l'orientation jihadiste de son frère qu'il avait contribué à forger", ont estimé les juges d'instruction. Ces derniers ont notamment pointé les contacts répétés des deux hommes les jours précédents les tueries, les séjours au Caire d'Abdelkader Merah ou la découverte à son domicile d'un guide du Moujahidine (combattant de la foi) donnant des conseils pour échapper à la surveillance des services de renseignement – dont l’impréparation et les failles seront aussi mises en lumière par ce procès.
Sollicité par l'AFP sur la défense de son client, l'avocat actuel d’Abdelkader Merah, Me Éric Dupond-Moretti, n'a pas souhaité s'exprimer avant l'audience. Il avait dénoncé en 2016 un dossier vide.
Pour les juges, Fettah Malki, pizzaiolo né en Algérie et arrivé en France en 1993, déjà condamné à huit reprises par la justice, notamment pour des violences conjugales sur sa compagne de 10 ans son aînée, ne pouvait ignorer la capacité de Merah à commettre des actes "en lien avec son idéologie radicale jihadiste". Malki réfute avoir eu connaissance des projets d'assassinats. Selon son avocat, Me Etelin, il connaissait les Merah "comme tous les habitants" des Izards, qui le considéraient comme un "receleur".
Refus de la justice de filmer le procès
Pour les familles des victimes, le procès est important à double titre : pour se reconstruire, d’une part, mais aussi pour faire comprendre aux Français que ces attentats de 2012 ont marqué un tournant historique en France.
"C'est très difficile. J'espère que la lumière sera faite pour que nos enfants puissent reposer en paix, que la vérité éclatera et que la justice sera faite", a déclaré à la presse Latifa Ibn Ziaten, la mère d'une victime de Mohamed Merah, à son arrivée à la cour d'assises de Paris, lundi 2 octobre.
"On espère, par ce procès, pouvoir faire enfin le deuil, a témoigné lundi matin, sur Franceinfo, Radia Legouad, la sœur du militaire Mohamed Chemse Dine Legouad, première victime de Mohamed Merah. Ça ne s’explique pas, c’est un besoin, c’est comme assister à l’enterrement. Ce sont des parties de puzzle importantes et on a besoin de chacune d’entre elles pour pouvoir avancer, ou survivre."
"Je pense que ce qui s’est passé il y a cinq ans a été un peu effacé de la mémoire collective, c’était le début [d’une vague d’attentats en France] mais ce n’est pas ce que le grand public a retenu", juge quant à lui Pierre Lasry, président des parents d’élèves du collège-lycée juif Ozar Hatorah au moment des faits, dans un article de 20 Minutes publié dimanche.
Pour marquer l’aspect historique de cette affaire, l’avocat de la famille de Mohamed Chemse Dine Legouad, Me Olivier Morice, avait d’ailleurs demandé à ce que le procès soit filmé. Mais la justice a rejeté cette requête, jugeant qu’il n’y avait "pas un intérêt proprement dit pour les archives historiques de la justice".
"Il est étrange de voir que des juges s’érigent en historiens pour faire la différence entre ce qui est historique et ce qui ne l’est pas. De surcroît, on n’a pas demandé leur avis aux avocats de la défense, a regretté Me Etelin dans Libération. En tout état de causes, ce procès ira certainement en appel. Ce qui permettra de demander pour ceux qui le souhaitent que le procès soit enregistré."
"C’est qu’on n’a pas autant parlé de cette affaire Merah et de ces enfants juifs abattus devant leur école que nous ne l’avons fait pour Charlie Hebdo ou les attentats du 13 novembre, reconnaît Julie Dungelhoeff, grand reporter à France 24. Donc ce procès va aussi permettre à la société civile de se remettre en question sur cette affaire Merah, qui a eu, certes, une grande résonnance à l’époque, mais qui a été beaucoup moins impactante sur la société civile que les attentats qui ont suivi."
Avec AFP