Nos reporters sont retournés à Pondichéry, dans le golfe du Bengale, ancien comptoir de la Compagnie française des Indes orientales. Cinquante-cinq ans après son rattachement à l'Inde, l'influence française recule dans cette ancienne colonie, mais des habitants se mobilisent pour maintenir le caractère unique de cet îlot francophone.
C'est un ancien bout de France logé à l'extrémité sud de l'Inde. Un îlot francophone où se mêlent le cricket et la pétanque, le tandoori et le coq au vin, et où l'on continue de célébrer certains mariages dans la langue de Molière et de Dupleix, le mythique gouverneur de la ville qui défiait les Anglais au XVIIIe siècle.
Au moment du rattachement de Pondichéry à l’Union indienne, en 1962, après trois siècles de colonisation, 20 000 habitants ,qu'on appelle les "Franco-Pondichériens", choisirent la nationalité française, comme le prévoyait le traité signé par le général de Gaulle, qui offrait aux habitants la possibilité de conserver la nationalité française. Un ticket pour la métropole toujours recherché aujourd'hui, alors que 150 mariages mixtes entre Tamouls et Franco-Pondichériens sont célébrés chaque année à la mairie.
Mais au lycée français, le nombre d'élèves est en chute libre. Ils sont 600, moitié moins qu'il y a dix ans. Car la plupart des Franco-Pondichériens choisissent de partir pour la France et d'y faire leur vie. Ils ne sont plus que 4 000 aujourd'hui, soit cinq fois moins qu'il y a cinquante ans.
Certains d'entre eux choisissent néanmoins de revenir vers leurs racines indiennes. C'est le cas de Jean-Pierre Gnanou, descendant d'une vieille famille de bijoutiers. Son père fut administrateur colonial et parmi ses six frères et sœurs, il est le seul aujourd'hui à habiter la majestueuse maison familiale. Avec son épouse franco-pondichérienne, l'homme d'affaires a créé une agence de voyage et fondé plusieurs entreprises dans le textile et l'ameublement. Mais sa plus grande réussite reste "la Villa", une ancienne maison coloniale transformée en hôtel de luxe.
Patrimoine architectural en piteux état
L'ancien comptoir de Pondichéry possède une concentration de bâtiments historiques unique en Inde. Quelque 1 300 bâtiments, dont près de 300 constructions coloniales françaises, réparties sur quelques rues et qui font mémoire de 300 ans d'histoire commune. Le charme de ces avenues ombragées attire de plus en plus de touristes : 1,4 million l'an dernier, dont 100 000 Français.
Mais aujourd'hui, ce patrimoine unique est en piteux état : 80 % des demeures historiques ont été détruites en 25 ans, dont de nombreux bâtiments publics, victimes de la négligence des autorités locales. Symbole de cette incurie, l'ancienne mairie, qui s'est effondrée en 2014. Les anciennes poutres métalliques, vieilles de 150 ans, gisent toujours à terre. Un drame qui a suscité pour la première fois une prise de conscience de la population. Des manifestations à la bougie ont spontanément été organisées devant le bâtiment.
L'événement a en tout cas permis à Ashok Panda de faire avancer sa cause : la sauvegarde du patrimoine de Pondichéry. Il dirige l'Intach, une organisation de restauration du patrimoine présente dans toute l'Inde mais qui ne dispose d'aucune subvention publique... Après des débuts difficiles, Ashok Panda dirige une dizaine de chantiers dans la ville. En trente ans, il a pu restaurer une centaine de demeures historiques dans le quartier français.
Ashok participe à un plan ambitieux mené par le gouvernement : le projet Smart city (ville intelligente), mené par le gouvernement indien. Cent millions d'euros vont être investis pour moderniser les infrastructures et le patrimoine architectural. La France s'est engagée à financer un tiers du budget et a détaché un architecte des bâtiments de France pour assister l'administration indienne – une expertise dont Pondichéry a besoin aujourd’hui. Les premiers signes du changement sont visibles : les habitants retrouvent leur plage. Et la promenade est en train d'être rallongée. Lentement mais sûrement, Pondichéry ouvre un nouveau chapitre de son histoire avec, comme hier, un parfum de France.