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Des enseignes héritées du temps des colonies sèment la zizanie à Paris

"Au nègre joyeux", "Au planteur"... À Paris, des enseignes commerciales héritées de l'époque coloniale créent la pagaille. Qualifiées de racistes par certains riverains, elles sont érigées en patrimoine par d'autres.

Elle trône depuis le 18e siècle sur la charmante place de la Contrescarpe, dans le Ve arrondissement de Paris. L’enseigne "Au nègre joyeux", vestige d’une ancienne chocolaterie parisienne, sème aujourd’hui la zizanie dans la capitale française.

Lundi 25 septembre, le Conseil de Paris a voté en faveur du décrochage de cette peinture sur toile représentant un Noir debout, serviteur ou esclave, et une Blanche de la haute société. Une "victoire" pour Raphaëlle Primet, élue parisienne et membre du Parti communiste français (PCF), à l’initiative de cette proposition.

"C’est une représentation raciste et coloniale qui n’a rien à voir avec les valeurs que porte Paris", dénonce cette élue, qui rappelle que l’enseigne a déjà été vandalisée. Aujourd’hui, des traces de peinture violette témoignent en effet du rejet témoigné par certains. "Elle suscite de la colère, il y a des gens qui sont blessés par cette enseigne", justifie Raphaëlle Primet.

"Oubliettes de l'Histoire"

La décision, approuvée lors d’un vote serré, prévoit désormais que l’enseigne soit rénovée puis exposée au musée Carnavalet, musée de la Ville de Paris. Une solution à laquelle s’opposent farouchement certains habitants du quartier. "Le retrait aboutirait à mettre aux oubliettes de l’Histoire cette période sombre qu’a été le colonialisme", estime Michel Sidhom, qui vit là depuis une quinzaine d’années.

Avec d’autres riverains, il fait partie d’un collectif pour le maintien de l’enseigne "Au nègre joyeux", à condition que soit apposée "une plaque explicative anti-raciste". "Nous voudrions faire œuvre pédagogique à partir de ce tableau, explique Michel Sidhom. Il faut le laisser sur place mais en profiter, notamment avec les écoles du Ve arrondissement et avec l’appui de personnes de différentes couleurs de peau et de différentes sensibilités politiques, pour expliquer ce qu’a été le colonialisme, l’esclavagisme, le racisme, qui perdurent encore aujourd’hui."

Il propose qu’une reproduction de l’enseigne soit exposée dans un musée mais que l’original reste dans la rue. "Il y a des milliers de personnes qui circulent ici. Une fois qu’elle sera au musée, seules les personnes convaincues d’avance iront la voir", argumente le porte-parole du collectif.

Bras de fer

Dans l’un des petits cafés qui entourent la place de la Contrescarpe, une serveuse acquiesce : "Il y a plein de gens qui nous posent des questions sur l’enseigne, on leur explique, cela permet d’informer les gens", témoigne cette femme qui travaille là depuis neuf ans. Un client, André, lui, se dit "énervé et désespéré", malgré la bière fraîche qu’il s’apprête à savourer. "Je trouve ça lamentable. Ça fait partie du patrimoine de la place. Ce n’est pas insultant. Le mot 'nègre', c’est juste la traduction littérale de noir", estime cet homme d’une cinquantaine d’années.

Une chose est sûre, le bras de fer autour de cette enseigne risque de se poursuivre. Michel Sidhom se dit prêt à déposer un recours contre la décision et espère que les déclarations de Bruno Julliard, premier adjoint de la maire PS de Paris Anne Hidalgo, seront suivies d’effets. Ce dernier a en effet évoqué, à l’issue du vote, la possibilité de "revenir dans quelques mois devant le Conseil de Paris avec une proposition consensuelle".

Banalisation de la colonisation

En attendant, le PCF compte bien s’attaquer aux "autres tableaux racistes de la ville", prévient déjà Raphaëlle Primet. La prochaine cible : l’enseigne "Au planteur" dans le IIe arrondissement de Paris qui dépeint un esclave noir debout, servant un colon blanc assis. Une guerre anti-affiches racistes qu’approuve totalement William, serveur dans le quartier depuis dix ans. "Elle aurait dû être enlevée depuis longtemps ! C’est honteux, ça ne devrait même plus exister à notre époque", s’insurge l’homme d’une trentaine d’années.

À l’image de ces Parisiens partagés, la question de la colonisation continue de faire des remous en France. À l’initiative de Louis-Georges Tin, président du Conseil représentatif des associations noires de France (Cran) et du philosophe Louis Sala-Molin, plusieurs personnalités ont signé mi-septembre une tribune dans le quotidien Le Monde pour que le nom de Colbert, ministre de Louis XIV et acteur de la légalisation de l’esclavage, soit retiré de l’espace public.

Pour Raphaëlle Primet, ces affaires attestent d’un "problème de la France avec une page sombre de son histoire". Selon elle, "la France banalise son histoire coloniale en en faisant un moment de son histoire comme un autre". Elle dénonce aussi un deux poids-deux mesures. "Si on avait des représentations antisémites qui dataient de la Seconde Guerre mondiale, personne ne penserait à les laisser dans l’espace public avec un mot explicatif."