
Pour les Français, Jean Gabin est l'un des plus grands acteurs de l'histoire du cinéma. Artiste populaire, son rôle durant la Seconde Guerre mondiale est moins connu. Une exposition retrace son engagement au sein des chars de la 2e division blindée.
Un sourire de charmeur. Un regard d’acier. Sur les murs du Musée du Général Leclerc et de la Libération de Paris, la "gueule" de Jean Gabin est reconnaissable du premier coup d’œil. Mais pour une fois, le visage de l’acteur n’apparaît pas sur des affiches de cinéma, mais sur des photographies de scènes bien réelles. En uniforme, casquette de fusilier-marin sur la tête, "le Patron" ne joue pas au soldat, il en est un.
Une exposition intitulée "Jean Gabin dans la guerre 1939-1945" lève le voile sur cette période méconnue de la vie de l’acteur. "Il en parlait très peu. Il a toujours voulu la garder secrète alors que d’autres se seraient vanté de leurs exploits. Je pense qu’il considérait simplement au fond de lui qu’il avait fait son devoir", explique Patrick Glâtre, le commissaire de l’exposition .
Dès les premiers mois de l’occupation, Gabin décide de s’opposer aux Allemands. Il n'accepte pas le chantage de ces derniers qui lui proposent d’offrir la liberté à son neveu prisonnier en Allemagne, contre un contrat avec leur société de productions de films, la Continentale. Refusant de tourner pour l’occupant, l’acteur s’expatrie finalement aux États-Unis en février 1941.
#2GM Visite de l'expo "Jean Gabin dans la guerre (1939-1945)" au Musée du Général Leclerc de Hauteclocque et de la Libération de Paris. pic.twitter.com/GI09FSFG0k
Stéphanie Trouillard (@Stbslam) 14 septembre 2017"Je me sentais hors du coup"
Durant cet exil américain, il fait la rencontre de Marlène Dietrich. Une passion naît entre ces deux monstres sacrés. Gabin retrouve aussi les plateaux de cinéma. Il tourne dans "La Péniche de l’amour" à Hollywood, mais ce Titi parisien s’ennuie. La France lui manque. "Je m’emmerdais et je me sentais hors du coup de tout ce qu’il se passait dans le monde. Les États-Unis étaient en guerre, des tas de types de chez eux se battaient sur tous les fronts, mais à Hollywood, à New York, dans le monde où par la force des choses, j’évoluais, c’était difficile d’avoir l’impression qu’un peu partout des gars se faisaient tuer pour nos pommes", a-t-il raconté par la suite.
Suspecté un temps par le FBI d’être pro-vichyste, il prend alors une décision radicale. En avril 1943, il s’engage ainsi auprès des Forces françaises combattantes. Jean Gabin redevient Jean Moncorgé, son nom de baptême, et se retrouve à Alger où il est affecté comme instructeur au sein de l’école des fusiliers-marins. Simple second-maître, le premier grade d’officier marinier, la star des grands écrans ne cherche pas les honneurs. "Quand des gradés ou des soldats venaient lui demander un autographe, il leur répondait : ‘Non, ici c’est Moncorgé, ce n’est pas Gabin. Gabin est resté à Hollywood’", décrit Patrick Glâtre, auteur de "Gabin, Dietrich : un couple dans la guerre".
"Un chef juste et un gars sympa"
Un an plus tard, en quête d’un peu d’action, il demande sa mutation au sein de la 2e division blindée (DB) du général Leclerc. En septembre 1944, l’acteur débarque à Brest et pose enfin de nouveau le pied en France. Quelques semaines plus tard, il devient chef de char du Souffleur II. "Il est claustrophobe, il a 40 ans, il a peur du feu, et il se propose lui-même d’être chef de char. C’est quand même exceptionnel", souligne le commissaire de l’exposition. Dans cette machine de guerre, à l’étroit, Jean Gabin est toujours autant apprécié par ses hommes : "C’était un chef juste et un gars sympa. Il utilisait le peu d’argent qu’il avait à offrir un coup à ses copains. Imaginez à l’époque un soldat de 20 ans qui se retrouve à l’armée, dans un char, avec la plus grande star de l’époque !"
Au sein de la 2e DB, le Souffleur II ne se retrouve pas en première ligne, mais le char participe cependant à la libération de la poche de Royan, puis prend la route de l’Allemagne. En mai 1945, il arrive jusqu’à Berchtesgaden, le nid d’aigle d’Hitler. De retour en France, Jean Gabin n’a qu’une hâte : retrouver sa Marlène. "Le plus vieux chef de char de la France Libre" quitte l’uniforme et refuse même de défiler sur les Champs-Élysées.
Pendant tout le reste de sa vie, il garde le silence sur ces 27 mois de guerre, tout en conservant précieusement ses casquettes de second-maître, exposées aujourd’hui au Musée du Général Leclerc. Même au cinéma, il dissocie ses deux vies. Pour Gabin, "la guerre, c’est pas du cinéma ". "À tel point que quand René Clément lui a demandé de jouer dans 'Paris brûle-t-il ?', il a refusé, précise Patrick Glâtre. Il considérait qu’il ne fallait pas la ramener car il y en avait d’autres qui avaient encore plus risqué leur vie et qui sont morts. Mais il faut reconnaître que dans le cas de Gabin, c’est quand même le plus grand acteur de l’époque qui s’est engagé et qui est devenu chef de char. Ce n’était pas un gars derrière un bureau. Il était sur le terrain dans une boîte de conserve."
- Jean Gabin dans la guerre (1939-1945), du 5 septembre 2017 au 18 février 2018 au Musée du général Leclerc et de la Libération de Paris – Musée Jean Moulin.