
envoyée spéciale à Barcelone – Après le rassemblement de près d'un million d'indépendantistes dans la capitale catalane lundi, les Barcelonais qui veulent rester espagnols avouent avoir du mal à faire entendre leur voix sur un sujet devenu, selon eux, tabou.
Au lendemain de la fête nationale de la Catalogne, qui a rassemblé près d'un million d'indépendantistes dans les rues de Barcelone lundi 11 septembre, la quasi-totalité des drapeaux sang et or ont disparu. De même, les T-shirts jaune fluo et les pancartes "Si" appelant à voter en faveur de l’indépendance lors du référendum controversé du 1er octobre ont rapidement cédé la place, dans la capitale catalane, aux milliers de touristes étrangers.
"C'est ça, le vrai visage de Barcelone et de la Catalogne, c'est l’ouverture vers le monde", comment José Bou Vila, dont la famille vit en Catalogne depuis plusieurs générations mais qui se dit lui-même espagnol. "Vous imaginez cette ville multiculturelle, ce port de croisière le plus grand d’Europe et le reste de la région coupés du monde avec les frontières fermées ?”
Le référendum, "un acte illégal"
"Inconcevable", estime ce chef d'entreprise barcelonais, qui refuse de voir sa région quitter le marché espagnol et européen, quitter l'euro pour retourner à la monnaie catalane, la peseta. "Ils font fausse route", ajoute-t-il. "Ils refusent de voir que la Catalogne est aujourd'hui beaucoup soutenue par Madrid pour les services publics." Il n'ira donc pas voter lors du référendum invalidé par le Conseil Constitutionnel, même pour cocher "non". "Je ne vais pas participer à un acte illégal", surenchérit-il.
Francesca*, 34 ans, serveuse dans un restaurant du quartier gothique, n'aspire pas, elle non plus, à plus d'indépendance. "Ensemble, nous sommes plus forts et plus efficaces", juge la Barcelonaise, qui refuse de s'intéresser au scrutin. "Je ne vais pas cautionner une élection non démocratique", affirme-t-elle bien qu'avouant, entre deux clients, ne plus parler de ce sujet avec d'autres car elle ne sent pas libre de s’exprimer.
"Une seule couleur politique visible"
Miriam Tey, vice-présidente de la Société civile catalane (Sociedad civil catalana, SCC), une association qui vise à assurer la cohésion entre les Catalans et le reste de l'Espagne, n’est pas surprise par cette retenue. "Aujourd’hui, une seule couleur politique est visible dans la région", déplore-t-elle en pointant du doigt les médias locaux.
Au lendemain de la "Diada", les quotidiens catalans comme El Periodico et La Vanguardia, ont respectivement titré sur "Le 'oui' a montré ses muscles" et "Le 'oui' investit la rue", contrairement au journal madrilène El Pais, ouvertement opposé au référendum, qui a opté pour "Le jour de la désobéissance". Si ces titres barcelonais affichent tout de même leur indépendance vis-à-vis de l'exécutif catalan, d'autres médias "qui bénéficient de subventions du gouvernement nationaliste" diffusent dans la région et "dans le reste de l'Union européenne", une "propagande indépendantiste", selon les termes de Miriam Trey.
Barcelone divisée
Ainsi, les "anti" peinent à faire entendre leur voix. Ils ne sont pourtant pas moins nombreux que les "pro". Selon le dernier sondage de l'Institut gouvernemental catalan, en juillet, 41,1 % des Catalans souhaitent l'indépendance et 49,4 % sont contre. À l’image de la région, Barcelone affiche aussi ce double visage. Lors des dernièrs élections régionales de 2015 remportées par les indépendantistes, 47,47 % des électeurs barcelonais avaient voté en leur faveur.
À trois semaines du "1-0" – qui fait référence à la date du référendum, le 1er octobre, et à une souhaitée victoire du "oui" –, José Bou reste persuadé que la participation sera faible au vue de la mobilisation des indépendantistes, le 11 septembre. Entre 225 000 manifestants, selon la SCC, et 800 000, selon les médias, ont participé à la fête nationale, "ce qui représente entre 4 et 13 % des 6 millions d’électeurs catalans. Autant dire rien du tout", se rassure-t-il à trois semaines du référendum.
"Toutes les familles se déchirent"
La difficulté, pour une part des Catalans, de se déclarer contre l'indépendance se répercute aussi par des tensions au sein de la société catalane. “Aujourd’hui, toutes les familles se disputent et se déchirent”, constate Miriam Tey. “Tous les Catalans sont confrontés à un proche qui n’est pas en accord avec leurs idées”.
Francesca s’est, elle, “fâchée avec sa cousine et plusieurs de ses amis”. Si elle regrette que le dialogue ait été rompu, elle constate que ces derniers peuvent descendre dans la rue pour dire ce qu’ils pensent. "Moi, je ne me sens pas libre d’exprimer mes opinions en public”. Et de conclure, dépitée : “Si le oui l’emporte, je n’aurai plus ma place et je quitterai la Catalogne”.
* Le nom a été changé