
La Cour européenne des droits de l’Homme a rendu, mardi, un très attendu arrêt sur la surveillance des courriels en entreprise. Elle y réaffirme le droit d'un salarié à une correspondance privée et fixe les limites du contrôle par l’employeur.
Un ingénieur roumain s’était retrouvé sans travail du jour au lendemain pour avoir envoyé des courriels personnels à son frère et à sa fiancée depuis sa messagerie professionnelle. Son employeur avait surveillé ses correspondances, avait jugé qu’il s’agissait d’une faute professionnelle et l’avait renvoyé.
C’était en 2007. Dix ans de procédure judiciaire et d’échecs devant les tribunaux roumains plus tard, Bogdan Mihaï Barbulescu a obtenu gain de cause contre son employeur devant la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH). La juridiction a jugé, mardi 5 septembre, que la surveillance opérée par l’employeur violait le droit à la vie privée et à la confidentialité des communications du salarié.
Pro ou perso ?
La Cour n’a pas reproché aux employeurs de surveiller les boîtes mails de leurs salariés. La règle générale, censée protéger les entreprises contre le risque d’espionnage industriel, en la matière est maintenue : "À partir du moment où les moyens de transmission électronique sont mis à disposition par l’employeur [une boîte mail par exemple], tout ce qui s’y passe est présumé être d’ordre professionnel et peut être contrôlé par l’entreprise", énonce François-Xavier Michel, spécialiste du droit du Travail au cabinet Cornet Vincent Segurel. Ce droit de regard disparaît cependant quand la mention "personnel", "perso" ou "privé" est clairement indiqué dans l’objet du mail ou que le message est rangé dans un dossier identifié comme personnel.
Bogdan Mihaï Barbulescu ne semble pas s’être donné cette peine, même si certains messages, notamment avec sa fiancée, “revêtent clairement un caractère intime”, d’après l’arrêt de la CEDH. Les juges soulignent que le contenu des courriels pouvait, en théorie, être retenu contre le salarié roumain dans le cadre d’une procédure disciplinaire. Mais, encore faut-il que le droit à la vie privée du salarié soit suffisamment bien protégé.
Une question qui a été trop rapidement évacuée par les tribunaux roumains, ont tranché les juges. L’étendue du contrôle mis en place – surveillance en continu pendant une semaine – n’était-elle pas exagérée ? La CEDH s’interroge aussi sur l’adéquation entre la sanction et ce qui est reproché au salarié, à savoir envoyer des mails à son frère et sa fiancée depuis une messagerie professionnelle.
Surtout, l’employeur a fait une erreur fondamentale aux yeux de la Cour : il n’a pas averti au préalable ses salariés de l’ampleur de la surveillance des correspondances. Les employés doivent savoir ce qui les attend, sinon il y a une violation nette du droit à la vie privée au regard de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme.
Harmonisation européenne
“Cet arrêt confirme la protection du secret des correspondances électroniques privées des salariés et rappelle les conséquences d’une telle violation, ainsi que les exceptions”, résume Antoine Chéron, avocat spécialiste des nouvelles technologies au cabinet ABCM. Il était très attendu et la Confédération européenne des syndicats tout comme l’État français participaient aux audiences en tant que tiers intervenants (un statut qui permet de déposer des observations écrites).
Ces deux parties militent pour un encadrement strict de la surveillance des correspondances dans l’entreprise. “La Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) impose en France une consultation ainsi qu’une information des salariés sur les dispositifs mis en place, les modalités du contrôle et la durée de conservation des données de connexion”, rappelle Antoine Chéron.
Mais d’autres pays, comme la Roumanie, ont une approche plus arrangeante avec les intérêts de l’entreprise. “Par cet arrêt la CEDH aligne la jurisprudence européenne sur la position française”, note François-Xavier Michel. Un verdict qui pourrait entraîner une harmonisation des règles au niveau européen en faveur du salarié.