correspondante à New York – Aux États-Unis l’addiction aux opiacés est devenue une urgence sanitaire nationale. Accusés d'avoir prescrits ces dangereux antalgiques à leurs patients sans que cela soit nécessaire, de nombreux médecins sont traduits en justice.
"Vous êtes, selon moi, la pire sorte de trafiquant de drogues", a asséné un juge américain à un médecin de Virginie occidentale, aux États-Unis, après avoir rendu son verdict, mercredi 23 août. Le Dr Michael Kostenko, a été condamné à 20 ans de prison pour avoir prescrit des quantités faramineuses d’oxycodone à ses patients, sans que leur état de santé ne le justifie. Les prescriptions de ces puissants antalgiques dérivés de l’opium, connus pour entraîner une forte dépendance physique et psychologique, ont débouché sur la mort par overdose de deux de ses patients.
Les agissements de ce médecin illustrent la crise qui frappe de plein fouet les États-Unis depuis plusieurs années. Les overdoses dues à la consommation de drogues sont désormais la première cause de décès chez les Américains de moins de 50 ans, précise le New York Times. En 2015, les opiacés et l’héroïne ont été à l’origine de la mort de plus de 33 000 personnes dans le pays, un record selon le Centers for Disease Control and Prevention (CDC), qui précise que ces chiffres ont quadruplé depuis 1999.
Pour prendre conscience de l’ampleur des ravages, un panel d’experts a osé une comparaison pour le moins efficace : les opiacés et l’héroïne engendrent l’équivalent d’un attentat du 11-Septembre toutes les trois semaines aux États-Unis. Un argument qui a fait mouche auprès des autorités. Le 10 août, l’état d’urgence nationale a été décrété par Donald Trump.
Une journée, 375 ordonnances, 20 000 dollars
En Virginie occidentale, où officiait le Dr Kostensko, les plus hauts taux de décès par overdose du pays (41,5 pour 100 000) ont été enregistrés en 2015. Une situation telle que les autorités peinent à payer pour tous les enterrements.
Dans des vidéos qu’il postait sur Youtube, le Dr Kostenko, alors à la tête de la florissante Coal Country Clinic, affichait ses méthodes peu conventionnelles. Lors de cours collectifs, il expliquait à ses patients comment guérir leur maladie et leurs douleurs à l’aide d’un changement d’alimentation et de comportement, détaille CBS NEWS. Après quoi, chaque patient remplissait une fiche médicale, s’acquittait de 120 dollars en liquide et repartait avec des ordonnances leur permettant de se procurer de l’oxycodone, sans passer par la case consultation privée.
Le docteur rédigeait même des ordonnances sans avoir vu les patients. En 2013, en l’espace d’une journée, 375 prescriptions ont été faites pour 271 patients, représentant plus de 19 000 pilules d’oxycodone (et 20 000 dollars de revenus pour la clinique). Entre janvier 2011 et mars 2016, 16 patients du Dr Kostenko sont morts d’overdose, précise en outre un site d'information local.
Interrogé par France 24, l’avocat du médecin, Me Derrick Lefler, botte en touche lorsqu’on lui demande si son client exprime des remords. Il se contente de dire que ce dernier est déçu par le verdict. “Il a écopé de la peine maximale.”
"Moulins à pilules"
Cette peine maximale traduit une nouvelle fermeté de la justice américaine en la matière. Début août, le ministre de la Justice, Jeff Sessions , a annoncé que les procureurs américains cibleraient désormais les médecins et les pharmaciens peu scrupuleux pour lutter contre cette “épidémie” de drogues.
En juin dernier, un vieux docteur de famille officiant dans le quartier huppé de l’Upper East Side, à New York, a été arrêté par la police, soupçonné d’avoir prescrit, entre 2012 et 2017, plus de 2 millions de pilules d’oxycodone à des patients dont la condition physique ne le nécessitait pas en échange d’argent liquide, rapporte le New York Post. Le 22 août, un pharmacien de la petite bourgade de Medford dans le New Jersey a été reconnu coupable d’être à la tête d’un business d’opiacés, via ses deux pharmacies qualifiées de “moulins à pilules”. Il risque 20 ans de prison pour chacune des cinq charges qui pèsent contre lui.
Face à ces faits divers qui se multiplient, la méfiance de la population grandit envers le corps médical. Selon un sondage de 2016, un Américain sur trois considère que la crise des opiacés est de la faute des médecins qui prescrivent, de plus en plus, ces dangereux antidouleurs . Les prescriptions ont en effet quadruplé entre 1999 et 2014, indique le CDC.
Plus grave encore, 86 % des personnes qui consomment de l’héroïne ont d’abord testé des opiacés, affirme l’Institut national sur l'abus de drogue (National Institute on Drug Abuse, NIH). Les personnes dépendantes se tournent également vers des substances synthétiques, tels que le Fentanyl, qui est 80 fois plus puissant que la morphine, toujours selon le NIH.
L'Association médicale américaine (American Medical Association), l’Association médicale de Virginie occidentale (West Virginia State Medical Association) ainsi que la Fédération des comités médicaux des États (Federation of State Medical Boards) n’ont pas donné suite à nos requêtes.
“On pensait faire quelque chose de bien”
Certains médecins prennent néanmoins la parole, comme le Dr Sudip Bose, contributeur pour le Huffington Post. “Il y a quelques temps, il était normal de prescrire un flacon de Vicodin [un opiacé, NDLR] à un patient avec une cheville foulée”, écrit-il, dans les colonnes du site d’information. "Le patient était ravi et nous aussi. Je pensais que mes collègues et moi faisions quelque chose de bien. Jusqu’à ce que le patient revienne, un mois après, pour nous demander un autre flacon."
Ce médecin fustige une règle mise en place en 2001, selon laquelle les médecins doivent prendre en compte la "douleur" du patient lors d’une consultation au même titre que sa tension artérielle, sa température corporelle, son rythme cardiaque et sa respiration. Une mesure qui explique selon lui les prescriptions excessives d’anti-douleurs. "Contrairement aux autres données, la douleur n’est pas objective", estime le Dr Bose.
"Il faut dorénavant s’en remettre à la science et aux évidences, et non plus aux intuitions", affirme Lindsey Vuolo, directrice associée au National Center on Addiction and Substance Abuse. Cette dernière fulmine de voir le peu de prise en charge des personnes dépendantes. "Seule une personne ayant des problèmes d’addiction sur dix est sous traitement. Et celle qui l’est ne suit même pas un traitement réellement adapté."
Des traitements existent pourtant. Le Dr Sudip Bose en propose notamment un : des médicaments pouvant bloquer la sensation de bien-être suivant la prise d’opiacés, censés donc dissuader le malade d’en prendre. "Il faut faire confiance à votre docteur. Il vous prescrira le traitement adapté à votre situation", conseille-t-il à ses lecteurs.