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Barcelone, joyau du tourisme et "principal foyer du terrorisme jihadiste en Espagne"

Haut lieu du tourisme mondial et célèbre pour ses soirées festives, Barcelone, visée jeudi par une attaque jihadiste, a la réputation, depuis plusieurs années, d'être un foyer actif du terrorisme islamiste en Espagne. Décryptage.

Visée par les attentats islamistes les plus meurtriers jamais commis sur le sol européen, à Madrid, en 2004, l’Espagne, épargnée depuis, se retrouve de nouveau ciblée.

L’attaque à la camionnette-bélier menée, jeudi 17 août, et revendiquée par l’organisation État islamique (EI), sur la Rambla, l’artère la plus prisée des touristes à Barcelone, puis l’attaque commise à Cambrils, en Catalogne, ont replongé le pays dans les affres du terrorisme.

Les autorités espagnoles se préparaient à l’éventualité d’une telle attaque sur leur territoire. Elles avaient rehaussé en 2015 le niveau d’alerte anti-terroriste à 4 sur 5, tandis que les services de renseignements espagnols avaient mis en garde contre des menaces, notamment de la part de l’EI, précisément contre des sites touristiques.

De leur côté, la plupart des experts interrogés par France 24 ne sont guère surpris par ces attentats, évoquant une dérive salafiste dans certaines régions du pays, et précisément en Catalogne.

"Il n’est pas surprenant de voir l’Espagne et la Catalogne visées par le terrorisme, car il s’agit d’un terrain relativement connu, et ce depuis des années, de réseaux islamistes et d’activistes jihadistes", affirme l’ancien juge anti-terroriste Jean-Louis Bruguière.

"Barcelone est une ville salafiste"

"Il fallait s’y attendre, Barcelone est une ville qui abrite depuis longtemps une forme de radicalisation, qui a englobé pendant un temps les Frères musulmans, le Tabligh [un courant qui prône une pratique rigoriste et littéraliste de l'Islam, NDLR], et puis les salafistes", explique de son côté Pierre Conesa, ancien haut fonctionnaire du ministère français de la Défense et auteur de "Dr Saoud et M. Djihad : La diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite", aux Éditions Robert Laffont.

"Il y a une espèce d’émulsion radicale en Catalogne, et si Londres avait pendant longtemps été le lieu du Londonistan [surnom des réseaux islamistes prospères à Londres dans les années 90, NDLR] Barcelone, elle, est une ville salafiste, où des noyaux se sont constitués avec le temps à l’image de Molenbeek en Belgique, ou encore Trappes en France", poursuit-il.

"En Espagne, il existe des foyers d’activistes islamistes dont certains ont été démantelés en grand nombre par les services espagnols ces dernières années, abonde Roger Marion, ancien chef de la division nationale anti-terroriste. En France, lorsque nous avions neutralisés des réseaux islamistes en 1995, il y avait déjà des connexions avec ce pays".

Ces dernières années, les services de sécurité espagnols ont en effet procédé à plusieurs dizaines d’arrestations, à Barcelone notamment, d’individus suspectés de liens avec des organisations islamistes radicales. Selon le ministère espagnol de l'Intérieur, entre 2012 et octobre 2016, 186 personnes ont été arrêtées en lien avec le terrorisme jihadiste, dont 63 en Catalogne et 50 pour la seule province de Barcelone.

Plusieurs dizaines d’individus ont également été interpellés depuis le début de 2017. En avril dernier, la police catalane avait mené une opération "antiterroriste jihadiste" d'envergure impliquant des arrestations et de nombreuses perquisitions dans les alentours de Barcelone. Certaines personnes arrêtées étaient suspectées d’être liées à des suspects interpellés dans l'enquête belge sur les attentats de mars 2016 à Bruxelles.

Un "jihadisme maison"

Une fièvre jihadiste qui tranche avec l’image festive de la capitale catalane, haut lieu du tourisme mondial. En 2015, le think tank le plus influent en Espagne, le Real Instituto Elcano, avait pourtant publié un rapport plutôt alarmiste intitulé "Terroristes, réseaux et organisations : les facettes du mouvement jihadiste en Espagne". Il faisait état d’une "transformation extraordinaire" du jihadisme dans le royaume, et notamment en Catalogne, depuis 2011.

Les auteurs du rapport, Fernando Reinares et Carola Garcia-Calvo, avaient écrit que "la région métropolitaine de Barcelone continue d’être le principal foyer du terrorisme jihadiste en Espagne". Près de 32 % des personnes arrêtées entre juin 2013 et novembre 2015 en Espagne, "en raison d’activités liées au terrorisme jihadiste", notamment pour propagande et recrutement jihadiste, résidaient au moment de leur interpellation à Barcelone.

"La Catalogne est incontestablement un terreau favorable pour les réseaux jihadistes, avec des individus radicalisés et des anciens islamistes, appelés à tort des vétérans, qui se recyclent sur place", confirme Jean-Louis Bruguière.

Le rapport indiquait également que l’Espagne est en train d’assister à l’éclosion d’un "jihadisme autochtone ou maison", tout en précisant que 45 % des personnes arrêtées entre juin 2013 et novembre 2015, en lien avec des activités jihadistes, étaient de nationalité espagnole et 37,4 % de nationalité marocaine.

La très grande majorité des personnes interpellées étaient originaires des enclaves espagnoles de Ceuta et de Melilla, situées au Maroc, et réputées être un terreau d'islamistes radicalisés.

"On sait depuis très longtemps qu’il existe en Espagne des foyers d’islamistes, à Barcelone, à Madrid et à Ceuta et Melilla, atteste Alain Juillet, l’ex-directeur du renseignement français (DGSE). Il y a toujours eu des problèmes avec la remontée de terroristes venus du Maroc et d’Espagne, qui passaient par le royaume ibérique pour se rendre en France ou en Belgique".

Plusieurs jihadistes qui sont passés à l’acte dans l’Hexagone, dont le Marocain Ayoub el-Khazzani, l’auteur de l’attaque avortée du Thalys, et le Français Amedy Coulibaly, l’assaillant de l’Hyper Cacher, ont séjourné en Espagne, selon des sources citées par des médias français.

L’Espagne, nouvelle cible privilégiée de l’EI ?

Reste à comprendre pour quelles raisons l’EI a décidé de frapper l’Espagne, et notamment Barcelone, considérée par les experts comme une base arrière des jihadiste. D’aucuns évoquent une cible symbolique et connue dans le monde entier d’un point de vue touristique. D’autres avancent l’idée de représailles contre le gouvernement espagnol pour son engagement auprès de la coalition internationale luttant contre le groupe jihadiste en Irak et en Syrie.

"On peut penser que Madrid paye sa participation à la coalition, comme la France, l’Allemagne ou la Grande-Bretagne", avance Pierre Conesa, bien que concède-t-il "ce pays soit beaucoup moins impliqué que les principales puissances occidentales". Le gouvernement espagnol a déployé des militaires en Irak pour participer uniquement à la formation des forces locales.

Mais attaquer l’Espagne aurait selon certains un sens politique et symbolique fort. "Il y avait un faisceau de preuves depuis quelques années, dans le langage et la rhétorique de l’EI et des mouvements radicaux islamistes, qui fustigeaient l’Espagne en rappelant qu’une partie de son territoire était musulmane pendant plusieurs siècles", précise à France 24 Alexandre Vautravers, spécialiste des questions de sécurité au Global Studies Institute de l’Université de Genève.

En effet, dans ses messages de propagande, le groupe a souvent rappelé le passé islamique de l’Andalousie, surnommé al-Andalus au cours du Moyen-âge, et sa volonté de l’incorporer à son califat autoproclamé.