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Seulement un tiers des mineurs migrants africains partent pour des raisons économiques

Le réseau humanitaire Reach a publié en juin une étude inédite identifiant les profils et les raisons du départ des migrants mineurs non accompagnés arrivant en Italie depuis l'Afrique.

Ils étaient plus de 25 000 en 2016. Les mineurs migrants non accompagnés sont de plus en plus nombreux à accoster sur les côtes européennes depuis l’Afrique. Leur présence pose de nombreux problèmes aux pays tels que la France et l’Italie, qui ont du mal à tous les recenser ou à leur apporter une aide sociale. Ainsi en 2015, l’agence Europol signalait que 10 000 enfants migrants isolés avaient disparu des radars en Europe. Si le phénomène est bien connu, le profil de ces mineurs et surtout les raisons de leur départ l’est moins.

Pour pallier ce manque d’information et illustrer un phénomène souvent mal jugé car mal compris, le réseau Reach, composé de l’ONG Acted et du think tank suisse Impact, a mené une étude sur les mineurs migrants isolés, en partenariat avec l’Unicef.

"Il y avait un vide statistique que nous avons voulu combler. Les informations disponibles sur ces enfants ne sont souvent pas vérifiées. Elles sont liées à un contexte précis et sont souvent anecdotiques. Nous avons voulu utiliser une méthodologie qui nous permette de collecter des résultats généralisables à l’ensemble des mineurs récemment arrivés en Italie", explique Giulia Serio, coordinatrice terrain en Italie de Reach, à France 24.

Elle a mené avec son équipe 720 entretiens dans des centres d’accueil en Sicile et dans les rues de Rome, Milan ou encore Vintimille. Dans ce pays, 91 % des mineurs migrants arrivent non accompagnés, et presque tous sont des garçons âgés de 16 et 17 ans.

Violences domestiques

Premier fait édifiant, l’étude pointe que 70 % des enfants ont quitté leur foyer pour fuir la violence (domestique principalement). Les raisons économiques, elles, ne concernent que 32 % des départs. La moitié des enfants gambiens, qui représentent plus du tiers des jeunes présents en Sicile, affirment ainsi être partis à cause de problèmes à la maison.

"Tous laissent derrière eux une situation où ils estimaient ne pas avoir accès à leurs droits élémentaires en tant qu’enfants, et ne voyaient pas de perspectives pour leur avenir proche", pointe le rapport, affirmant que les trois quarts des jeunes choisissent "individuellement" de partir, sans se concerter avec leur famille. "Il y a beaucoup plus de raisons qui poussent les enfants à fuir leur pays que de raisons qui les attirent en Europe, ce qui est très loin du discours entendu ici", explique Sarah Crowe, porte-parole de l’Unicef, à l'AFP

L’étude est toutefois limitée par le fait que très peu d’Érythréens, pourtant premier contingent de mineurs migrants à venir en Europe depuis l’Afrique, aient été interviewés, car absents des centres de transit siciliens. Étant donné la situation dans leur pays et l’importante diaspora érythréenne en Europe, les raisons du départ de ceux-ci peuvent pourtant être très différentes.

La Libye, première destination

Grâce à ces entretiens, les enquêteurs de Reach ont constaté que l’Europe n’était pas toujours la destination choisie en premier lieu par les jeunes migrants. Plus de la moitié d’entre eux comptent, en quittant leur foyer, se rendre pour une durée limitée dans les pays frontaliers ou, plus étonnant, rejoindre la Libye.

Parmi ces derniers, 68 % pensent que les opportunités de travail y sont bonnes et ne sont pas au courant des risques dans ce pays qui a sombré dans le chaos depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi, en 2011. Comment se retrouvent-ils en Italie dans ce cas ? "C’est un processus complexe, qui se développe tout au long du parcours migratoire. Quand ils sont pris dans ce flux, ils sont sollicités par beaucoup d’informations. Parmi celles-ci, l’idée que la Libye est une terre de travail. Et une fois qu’ils s’y retrouvent, la seule solution est de prendre le bateau pour l’Europe", commente Giulia Serio.

En Libye, les conditions de vie sont dramatiques pour les mineurs, relève l’étude. "Les enfants disent unanimement que le séjour en Libye était le passage le plus traumatisant du voyage, exception faite de la traversée de la mer. (…) Ils rapportent avoir passé des jours sans manger ni boire, et sans endroit sûr où dormir", note l’étude, ajoutant qu’ils ont été "exploités" et ont subi une "discrimination systématique" dans le travail qu’ils faisaient pour pouvoir poursuivre leur voyage.

Giulia Serio souligne que seuls "43 % des mineurs avaient pris en considération les risques avant de partir", et que les autres n’étaient pas au courant.

Conditions de vie risquées en Europe

Une fois arrivés en Europe de l’Ouest, les mineurs migrants non accompagnés doivent recevoir une aide, telle que l’aide sociale à l’enfance en France, et avoir un logement. L’Italie s’est même dotée en mars d’une loi pour les protéger en les considérant avant tout comme des enfants. Mais aujourd’hui, la situation est encore bouchée, signale l’étude de Reach : "Certains mineurs ont attendu des mois [dans les centres d’accueil], voire des années, avant d’obtenir un statut légal dans le pays." Quant à ceux qui quittent les centres, estimés à 6 000 chaque année, ils risquent d’être happés par des réseaux de prostitution, de trafic de drogue ou tout autre type d’exploitation. Des jeunes rencontrés par les enquêteurs de Reach dans les "villes de transit" telles que Rome ou Vintimille dormaient dans des abris de fortune ou simplement sous des ponts.

Le rapport prévient que des informations cruciales manquent toujours après cette étude, notamment le niveau de préparation du voyage des mineurs, les expériences qu’ils vivent durant leur traversée du continent dans certains "pays-clés de transit" comme le Niger et la Libye, ou leur nombre réel en Europe.