Le procès de 17 journalistes et collaborateurs du quotidien d'opposition turc Cumhuriyet a débuté lundi. Pour les défenseurs des droits de l'Homme, cette affaire est emblématique de l'érosion des libertés depuis le putsch manqué de 2016.
La salle d’audience du palais de justice de Caglayan, à Istanbul, est pleine à craquer. Lundi 24 juillet, les auditions de 17 journalistes et salariés du quotidien d’opposition turc Cumhuriyet y ont débuté, dans un procès décrit par les défenseurs des droits de l’Homme comme emblématique de l’érosion des libertés en Turquie depuis le coup d’État manqué du 15 juillet 2016.
Les accusés, dont 11 se trouvent déjà en détention préventive, sont accusés d’avoir été en contact et aidé des organisations qualifiées de "terroristes" par le gouvernement de Recep Tayyip Erdogan, en premier lieu desquelles les séparatistes kurdes du PKK, le groupuscule d’extrême gaiuche DHKP-C et le mouvement du prédicateur Fethullah Gülen, désigné par Ankara comme le cerveau de la tentative de putsch.
"Ces mouvements n’ont aucun lien entre eux, leurs idéologies sont totalement disparates, en fait ce qui est reproché aux journalistes, c’est d’être journalistes, s’insurge Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières (RSF). Aujourd’hui, quand on est journaliste en Turquie, on est qualifié et traité comme un terroriste."
Inside the courthouse where trial against #Cumhuriyet is held. The writing behind the judge reads "Justice is the foundation of the state" pic.twitter.com/nBHatWr6k3
— Selin Girit (@selingirit) 24 juillet 2017Bête noire
"Ce journal est devenu la bête noire d’Erdogan après avoir publié en mai 2015 des documents prouvant l’envoi d’armes en Syrie par la Turquie", explique Fatma Kizilboga, correspondante de France 24 en Turquie, qui précise que les accusés, dont certains risquent jusqu’à quarante-trois ans de prison, "font partie des journalistes les plus importants de Turquie".
Défendus par plus de 50 avocats et de nombreuses organisations de défense de la liberté de la presse, ils réfutent les accusations qui pèsent contre eux et dénoncent un procès politique visant à abattre l'un des derniers organes de presse indépendants du pays. Fondé en 1924, "Cumhuriyet est l’un des deux derniers journaux qui résistent à la ligne éditoriale dictée par Erdogan", ajoute Christophe Deloire.
"Presse instrumentalisée"
Après le putsch de 2016, la répression du gouvernement contre l’opposition a durement frappé les journalistes : au moins 125 d’entre eux ont été placés en détention depuis l’instauration de l’état d’urgence et une centaine de médias ont été fermés. Depuis, l’auto-censure est de rigueur dans le milieu en Turquie. "La presse est instrumentalisée à des fins purement politiques", ajoute le secrétaire général de RSF, prenant pour exemple l’infographie récente de l’agence de presse turque Anadolu, qui dévoile l’emplacement de dix sites des forces spéciales américaines et françaises en Syrie.
Et rares sont ceux qui élèvent encore la voix. "Cumhuriyet, c’est environ 50 000 exemplaires vendus, ce qui est assez peu en comparaison des autres médias du pays. Les médias qui osent faire leur travail aujourd’hui sont réduits à la portion congrue", déplore Christophe Deloire. Selon lui, la situation en Turquie, déjà classée au 155e rang sur 180 au dernier classement RSF de la liberté de la presse, "peut encore s’aggraver".
"Quand les journalistes sont arrêtés en premier, c’est le signe annonciateur" d’une dictature, poursuit-il.
Dans ce contexte, l’association des journalistes de Turquie a renoncé à délivrer un prix de la liberté de la presse cette année. "Quand il n’existe plus de liberté de la presse, et alors que tant de journalistes sont emprisonnés, on s’est dit que cela ne rimerait à rien", explique Turgay Olcayto, président de l’association.
Avec AFP