L'ancienne ministre de la Santé Simone Veil est décédée ce vendredi 30 juin. La disparition de la figure emblématique de la légalisation de l'IVG survient à une période où, partout dans le monde, l'accès à ce droit est remis en cause.
Avec Simone Veil, c'est aussi, et peut-être surtout, la défenderesse historique du droit à l'interruption volontaire de grossesse (IVG) qui disparaît.
Décédée à l'âge de 89 ans – elle allait en avoir 90 le 13 juillet – cette figure éminente de la politique française restera l'incarnation du combat pour ce droit fondamental des femmes à disposer de leur corps. Ministre de la Santé sous Valéry Giscard d'Estaing, Simone Veil portera la légalisation de l'IVG, qui sera finalement promulguée le 17 janvier 1975.
Le 26 novembre 1974, Simone Veil défend sa loi à l'Assemblée Nationale, devant un hémicycle où ne siègent que 6,6 % de femmes. Son discours marquera à jamais l'histoire de la lutte pour les droits des femmes. "Je voudrais tout d'abord vous faire partager une conviction de femme", déclare la ministre de la Santé. "Je m'excuse de le faire devant cette Assemblée presque exclusivement composée d'hommes. Aucune femme ne recourt de gaieté de coeur à l'avortement."
Le chemin vers ce progrès social a été quelque peu "pavé" pour Simone Veil. La loi arrive en effet après la légalisation de la contraception en 1967 et le Manifeste des 343, dans lequel 343 femmes déclarent avoir déjà avorté alors que cette pratique est punie par la loi. En 1972, le fameux procès de Bobigny – impliquant une mineure ayant avorté et 4 femmes l'ayant aidée – est une retentissante tribune en faveur du droit à l'avortement, portée par l'avocate Gisèle Halimi.
À cette période naît une réelle prise de conscience. Et même si les députés ne comptent que peu de femmes dans leurs rangs et que les signataires du Manifeste des 343 sont traités de "salopes", les choses avancent, Simone Veil en tête de cortège. Proposée par une ministre de droite au vote d'une Assemblée de droite, la loi sera sauvée grâce à l'appui des députés de gauche. Cette situation déjà exceptionelle à l'époque explique l'admiration et le respect dont a joui Simone Veil jusqu'à aujourd'hui. Hormis, bien sûr quelques forces conservatrices aux extrêmes, parfois confortées par un antisémitisme viscéral.
"Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant"
Rétropédalage de la pensée moderne
Le combat pour l'accès libre et gratuit à l'avortement n'a pas cessé en France avec la promulgation de la loi Veil. Si elles continuent de défendre et argumenter en faveur de l'IVG, c'est que malgré sa légalisation, il ne semble jamais vraiment acquis. L'actualité des derniers mois en Europe et dans le monde semble venir confirmer Simone de Beauvoir quand elle déclarait : "N'oubliez jamais qu'il suffira d'une crise politique, économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. Ces droits ne sont jamais acquis. Vous devrez rester vigilantes votre vie durant."
En 2017 comme en 1975, l'avortement a encore ses détracteurs. Et en 2017 comme en 1975, ceux-ci s'activent pour effacer cette conquête, et tentent par tous les moyens, y compris la violence, d'empêcher les femmes d'avorter librement. À droite et à l'extrême-droite, certaines personnalités politiques continuent d'exprimer l'atteinte à la vie que représente l'avortement.
L'élu FN vient d'effacer son tweet abject sur Simone Veil. Copie. pic.twitter.com/OTeIj5K77c
— Tristan M.F. (@tristanmf) 30 juin 2017
Le 23 juin, l'association pro-vie Les Survivants lançait une campagne d'affichage sauvage dans Paris pour dénoncer ce qu'ils considèrent comme un assassinat.
Campagne sauvage des anti-IVG dans le métro : nouvelle offensive très politique des Survivants https://t.co/6BIb6o9Tjm pic.twitter.com/SaGXC7bzoe
— madmoiZelle.com (@madmoiZelle) 23 juin 2017
Ce type de propos n'a jamais vraiment cessé. Ni les initiatives pour limiter ou supprimer le droit à l'avortement. En octobre 2016, en Pologne, un des derniers pays d'Europe à avoir reconnu ce droit, les femmes (et les hommes les soutenant, bien sûr) ont dû descendre massivement dans la rue pour protester contre un projet de loi interdisant pratiquement l'avortement. Ce n'est que face à la mobilisation populaire que les députés ont accepté de rejeter le texte. Le 9 septembre 2015, c'est le Parlement espagnol qui adoptait une loi limitant fortement l'accès à l'IVG pour les personnes mineures.
Lutter, encore et toujours
De l'autre côte de l'Atlantique, l'élection de Donald Trump comme président des États-Unis a totalement décomplexé les conservateurs pro-life qui militent aujourd'hui activement pour limiter l'accès à l'IVG au nom du droit à la vie ou de préoccupations médicales. Certains États passent de nouvelles lois très restrictives pour les femmes où les cliniques d'avortement, faisant fi de la décision de la Cour suprême américaine jugeant inconstitutionnel de faire obstruction à ce droit.
En France aussi, ce sont les conditions d'exercice de ce droit qui sont en danger
En 2017, les militants et élus doivent encore et toujours rappeler le droit fondamental qu'est celui de disposer de son corps. Une élue américaine a même tenté d'utiliser un raisonnement par l'absurde pour convaincre, soutenant que si l'on interdisait l'avortement, il faudrait aussi pénaliser la masturbation masculine. Sans compter tous les pays où l'avortement est encore interdit, purement et simplement, et ceux où les conditions d'accès à ce droit sont limités. En France aussi, ce sont les conditions d'exercice de ce droit qui sont en danger.
L'ancienne députée FN Marion Maréchal Le Pen a défendu le non remboursement intégral de l'IVG. Il est vrai qu'elle fut recadrée par son ainée et tante, Marine Le Pen. Des personnalités politiques aussi centrales que François Fillon, ancien candidat des Républicains à l'élection présidentielle, s'est presque toujours opposé aux mesures facilitant l'accès à l'IVG. Dans de nombreuses villes de France, ce sont des centres du planning familial qui doivent fermer ou réduire leurs activités faute de moyens pour fonctionner.
Alors certes, à la fin de sa vie, Simone Veil a sucité l'incompréhension de nombre de ses admirateurs en défilant dans la Manif pour Tous contre le mariage homosexuel, alors que la revendication du mariage entre personnes du même sexe se situait, pour beaucoup, dans la lignée évidente du combat pour la dépénalisation de l'IVG. Mais grâce au courage de Simone Veil, toute une génération de femmes s'est émancipée, leur parole s'est libérée et de nombreuses vies ont été sauvées. Reste à espérer que personne, après elle, n'ait à refaire ce travail qu'une pensée rétrograde aurait détricoté.
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