
Le salon du Bourget a, pour la première fois, réservé un espace dédié aux start-up et innovateurs de l’aéronautique. L’occasion de constater dans quelle direction vole l’avion du futur.
Des avions électriques, des engins poids plume (ou presque) et un avenir aérien beaucoup plus “vert”. Si Boeing a assuré le show avec son nouveau B737 Max-10, lors de la première journée du salon mondial de l’aéronautique au Bourget, le 19 juin, d’autres œuvrent en coulisses pour inventer l’avion commercial du futur.
Sur le tarmac de l’aéroport au nord de Paris, les A380 d’Airbus ou les Boeing B737 accaparent encore largement la ligne d’horizon. Les journalistes se pressent pour les prendre en photo, les pilotes descendent fièrement des Dreamliner et la grosse carcasse de ces molosses du ciel procure les quelques rares espaces d’ombre d’un début de salon marqué par une chaleur caniculaire.
Start-up de l’aviation
Pendant ce temps, dans un hangar secondaire, des start-up et inventeurs veulent révolutionner le secteur. Pour la première fois de son histoire, le Bourget a aménagé un hall entier dédié à l’innovation dans l’aéronautique. Certes, ce ne sont que quelques centaines de mètres carrés sur un espace total de 70 hectares, mais dans un univers connu pour se transformer lentement et qui a le risque en horreur. Une sacrée rupture.
Le monde des avions vivrait actuellement son “moment Tesla”, en référence à la société de voitures électriques d’Elon Musk, d’après François Chopard, le fondateur de l’incubateur. Starbust Accelerator, le premier incubateur mondial de start-up du secteur aéronautique, propose dans cet espace un voyage vers le futur aérien et Boeing a même lancé, en avril, un fonds d’investissement en plein cœur de la Silicon Valley.
Des iPad plutôt que des manuels de bord
L’aviation est soumise à deux impératifs : s’alléger pour dépenser moins en carburant et réduire son empreinte carbone, afin de payer son dû à la lutte contre le réchauffement climatique. “On en est à point où l'investissement en recherche et développement est très conséquent par rapport au bénéfice obtenu grâce aux technologies traditionnelles. C’est pourquoi l’industrie commence à envisager des changements radicaux”, explique Jean Hermetz, conseiller spécial aux nouvelles configurations d’aéronefs du centre de recherche français en aérospatial Onera, interrogé par France 24.
La question du poids passe avant tout par les matériaux composites. Ces alliages - comme la fibre de carbone - constituent déjà 50 % des matériaux utilisés pour la construction des derniers modèles d’avions, comme le Dreamliner. “L’objectif serait de monter à 60 % ou plus dans les 10 à 15 ans à venir”, assure Felix Michl, un ingénieur de la start-up allemande Cevotec, qui propose un système pour automatiser la pose de la fibre de carbone à des endroits sensibles ou difficiles d’accès pour l’Homme, comme les hublots des avions.
Le rêve d’un avion 100 % composite n’est, cependant, pas encore à portée de main. Des structures métalliques demeurent nécessaires pour résister à la chaleur dans certaines parties de l’engin, comme le moteur. Mais quelques pourcentages en plus permettraient de réduire le poids de plusieurs tonnes et d’économiser des dizaines de milliers de tonnes de kérosène sur la durée de vie d’un avion.
Le régime minceur des avions passe aussi par des changements plus subtils. Des recherches sont faites pour alléger les chariots de nourriture (notamment en utilisant du composite), ou réduire le poids des sièges. “Bon nombre de compagnies aériennes ont remplacé les manuels papiers des pilotes, qui pèsent trois ou quatre kilogrammes, par des iPads bien plus légers”, ajoute Haldane Dodd, porte-parole d’Atag, un rassemblement d’acteurs de l’aéronautique dans le but de rendre le secteur plus “vert”.
Voler grâce aux déchets municipaux
L’enjeu financier est évident, mais les économies de carburant entraînent aussi une réduction bienvenue des émissions carbones. L’Europe a fixé à son secteur aérien un objectif de réduction de 75 % de ses émissions de CO2 d’ici à 2050. Et jouer sur le poids des avions ne suffira pas. Le recours à des carburants alternatifs représente, à cet égard, la piste la plus prometteuse. Le mouvement est d’ailleurs déjà en marche : plusieurs aéroports - Stockholm, Los Angeles, Oslo - incitent les compagnies à intégrer des biofuels. En Californie, par exemple, KLM intègre un peu de carburant issu du recyclage des déchets domestiques de la ville.
Mais ce recours à des sources d’énergie non fossiles demeure très minoritaire. “On parle de quelques pourcents dans des mix encore largement dominés par le kérosène”, note Haldane Dodd. Logique : les biofuels sont deux à trois fois plus chers. “Le but est d’augmenter progressivement la part de l’alternatif, afin d’inciter les fournisseurs à en produire plus, ce qui entraînera une baisse des prix”, explique cet expert.
Un cercle vertueux qui risque de prendre du temps. D’où l’intérêt grandissant pour des systèmes de propulsion radicalement différents, comme l’électricité. “Il y a deux ans encore j’aurais dit que ce n’était pas possible mais, dorénavant, je pense que c’est envisageable”, affirme Haldane Dodd. Le centre de recherche français Onera a réussi à mettre au point un prototype d’avion - Ampère - qui volerait uniquement grâce à l’électricité. Une gageure car la malédiction de l’avion est que le kérosène est “le carburant parfait en terme de densité et de rendement”, souligne Jean Hermetz, d’Onera.
Trente-deux moteurs électriques
Il fallait donc trouver à l’électricité des avantages que n’a pas ce carburant fossile. Le principal réside dans la taille : “Les moteurs électriques restent très efficaces même petits, ce qui n'est pas le cas des moteurs traditionnels”, souligne ce spécialiste. L’électricité transporte aussi mieux l’énergie. Les équipes d’Onera ont donc repensé entièrement la forme de l’avion pour l’équiper de 32 moteurs électriques placés au-dessus des ailes. “Cela permet de s’assurer une marge de sécurité plus confortable qu’avec deux moteurs en cas de panne”, souligne Jean Hermetz.
Ampère est le premier prototype à avoir abouti, mais il ne sera jamais amené à s’envoler en conditions réelles car il s’agissait “avant tout de prouver la faisabilité technologique”, explique Jean Hermetz. Il ne pense pas qu’un tel avion commercial soit opérationnel avant 2030. E-fan, l’autre initiative dans le secteur - signé Airbus - a été abandonnée en mars 2017. L’avionneur a justifié sa décision par la volonté de “se recentrer sur les activités plus en adéquation avec les évolutions du secteur”.
Le souci de l’électrique est qu’en l’état actuel il convient seulement aux vols régionaux. Les batteries actuellement disponibles ne permettent pas d’envisager de transporter 200 passagers au-dessus de l'Atlantique, par exemple. “Nos tests ont démontré qu’un avion tout électrique peut être utilisé pour 70 à 100 passagers sur une distance maximum de 1 000 km”, note l’expert de l’Onera.
“Pour moi, le futur de l’aviation sera constitué d’avions électriques sur les trajets courts et de longs courriers toujours plus légers ayant recours carburants alternatifs”, résume Haldane Dodd. Mais il faudra encore attendre une décennie au moins avant que ces rêves deviennent réalité.