Le Rif, dans le nord du Maroc, s'enlise dans un mouvement de contestation qui dure depuis le 29 mai, date de l'arrestation du leader du mouvement. Focus sur la gronde qui anime les esprits.
Nichée entre deux montagnes rocailleuses, Al-Hoceïma est l’épicentre du mouvement de contestation du Rif, dans le nord du Maroc. Depuis l’arrestation du leader de la fronde Nasser Zefzafi, lundi 29 mai, les rapports se sont durcis entre police et manifestants. À l’origine de la colère : la mort d’un pêcheur, écrasé par un camion-benne alors qu’il tentait de sauver sa pêche confisquée par les autorités. Aujourd’hui, les habitants de cette zone déshéritée réclament la libération du chef contestataire, mais aussi du travail et un meilleur accès au soin et à l’éducation.
La ville, qui tirait autrefois une grande partie de ses revenus de la pêche, tourne désormais au ralenti. "En 2009, on avait un flotte de 45 bateaux de pêche à la sardine, se souvient Mounir Derraz, président de l'Association des armateurs du port d’Al-Hoceïma. Aujourd’hui, en 2017, on n’en compte plus que 23, et la cause principale de cette situation, c’est la faillite des patrons de chalutiers…"
"Ils ont juste dit la vérité"
Dans la capitale du Rif, on se plaint aussi du coût de la vie. Ici, la sardine y est vendue environ 3 euros le kilo, deux fois plus cher qu’ailleurs au Maroc. "C’est pour cela que les gens sortent dans la rue. Ils veulent qu’on baisse les prix, ils voudraient du travail, des hôpitaux, explique Mounir, marchand de légumes. Que les prisonniers soient libérés – car ces gens sont innocents, vraiment, ils n’ont rien fait, ils ont juste dit la vérité."
Et Amine, un vendeur de poisson de surenchérir : "C’est aux responsables de trouver une solution à ces problèmes, nous, nous ne sommes ni séparatistes, ni antiroyalistes, c’est au responsable du gouvernement de nous trouver des solutions".
L’État marocain mène pourtant au pas de charge une politique de grands travaux, lancée il y a deux ans par le roi. Pour désenclaver cette région isolée, une voie expresse devrait bientôt permettre de relier deux fois plus vite Al-Hoceïma à l’autoroute. Un hôpital, prévu pour fin 2019, est également en construction, l’une des principales demandes des habitants, qui disent souffrir du manque de services spécialisés.
"Qu'ils libèrent d'abord nos détenus !"
Pas de quoi calmer la grogne à Al-Hoceïma. Depuis trois semaines, les manifestations sont quotidiennes. Pour échapper à la police qui quadrille la ville, des rassemblements éclairs sont organisés. Si certains évoluent le visage masqué, c’est que la crainte d’être arrêté est réelle. "Est-ce que c’est bien nécessaire d’emprisonner ceux qui réclament dignité, infrastructures, écoles et universités ? s’indigne Nezha, une étudiante. On s’arrêtera lorsqu’ils répondront à nos revendications. Mais qu’ils libèrent d’abord nos détenus ! C’est non négociable ! Et qu’ils donnent satisfaction à nos revendications…" Face à une situation qui semble s’enliser, de nombreuses voix s’élèvent pour demander l’intervention du Palais royal.
En moins d’un mois, 86 personnes ont été interpelées selon la justice, plus d’une centaine, selon les militants. Mercredi 15 juin, 25 manifestants et militants présumés du mouvement de contestation populaire ont été condamnés à 18 mois de prison ferme, à l'issue de leur procès, a-t-on appris auprès de leur défense.