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Législatives 2017 : l'abstention massive fait resurgir le débat sur le scrutin proportionnel

Face à l’abstention massive et au raz-de-marée d'En Marche ! aux législatives, la question de l'introduction de la proportionnelle lors de ce scrutin se pose à nouveau pour une meilleure représentativité de l'opposition à l'Assemblée nationale.

Plus de 51 % d'abstentionnistes. Lors du premier du tour des législatives, l'abstention était une nouvelle fois le premier parti de France, s'offrant même le luxe de conquérir une majorité absolue.

Désintérêt des électeurs, lassitude après l'enchaînement des scrutins, campagne illisible avec la multiplication des candidatures et des étiquettes, résultats pliés d'avance… Quelles soient bonnes ou mauvaises, les électeurs avaient quelques raisons de bouder les urnes. Cette catastrophe démocratique conduit à réinterroger le mode de scrutin de la seule élection au suffrage universel qui soit de portée nationale en dehors de la présidentielle.

D'ailleurs, le Premier ministre, Édouard Philippe, a jugé qu'il serait "utile" de l'introduire à l'Assemblée nationale pour "ouvrir la répartition des sièges à des courants politiques qui ont du mal à franchir le cap démocratique du scrutin majoritaire". Sans toutefois préciser la forme que pourrait prendre le projet.

"C'est le mode de scrutin qui est en cause"

"Lorsqu'une formation comme En Marche ! représente 15 % du corps électoral mais va obtenir 75 % des sièges, c'est qu'il y a un problème", constate Christian Delporte, spécialiste de l’histoire politique et culturelle française, interrogé par France 24.

"Cette dissymétrie considérable s'explique par le mode de scrutin", renchérit Olivier Ihl, professeur de sciences politiques à Sciences-Po Grenoble et auteur d'une tribune sur France Info appelant à l'instauration de la proportionnelle. "Le scrutin uninominal majoritaire à deux tours amplifie la sélectivité jusqu'à la rendre caricaturale. Il va falloir introduire la proportionnelle comme le chef de l'État l'a promis durant sa campagne."

Le professeur grenoblois a pris sa calculette. En se basant sur les résultats du premier tour des législatives et en y appliquant les règles d'un scrutin strictement proportionnel à un seul tour, il a calculé le nombre de sièges qu'aurait obtenu chaque parti. Quand on la compare aux projections Ipsos pour le second tour de dimanche, la différence est stupéfiante : "Avec les mêmes résultats en voix, on obtient deux portraits très différents du Parlement censé représenter la France", résume le politologue. La victoire d'En Marche ! est moins écrasante. Les Républicains les talonnent. Le Front national (FN) et la France insoumise ne sont plus marginalisés. Les Verts, le Parti communiste et Debout la France ont même quelques députés.

Un mode de scrutin favorisant l'abstention ?

Durant la campagne présidentielle, Charlotte Girard était l'une des porte-parole de la France insoumise. Elle était également la co-responsable du programme "l'Avenir en commun" qui réclamait le passage à une VIe République et au scrutin proportionnel. Aujourd'hui, candidate à la députation dans la 10e circonscription de l'Essonne, la vague abstentionniste du 1er tour ne l'a pas étonnée.

"Sur le terrain durant la campagne des législatives, il y avait des signes de désintérêt. On a essayé de convaincre notre électorat que la nouvelle élection pouvait encore changer les choses, mais les gens considéraient que c'était fini, que Macron avait gagné", raconte celle qui affronte dimanche 18 juin, pour le second tour, un candidat de la majorité présidentielle. "Ce n'est pas étonnant, cette logique c'est celle de la Ve République"

Tout à l'autre bout de l'échiquier politique, le constat de désintérêt pour les législatives après une présidentielle décevante est partagé. "Les électeurs savent très bien que le mode de scrutin des législatives avantage le parti au pouvoir. Ils se demandent : à quoi ça sert d'aller voter ?", explique Julien Sanchez, maire Front national (FN) de Beaucaire et porte-parole national du parti frontiste pour les législatives.

"On voit qu'à chaque fois qu'il y a un scrutin qui n'est pas proportionnel, les électeurs ont des difficultés à considérer le scrutin comme démocratique", continue le jeune représentant du FN. "Sur les élections régionales ou européennes [qui se tiennent à la proportionnelle, NDLR], les électeurs des petits ou des moyens partis sont beaucoup plus mobilisés puisqu'ils savent qu'ils auront des élus.

"Il y a sans doute une démobilisation en se disant 4c'est foutu !' mais il faut relativiser", nuance toutefois Christian Delporte, "il y sans doute une part de l'électorat qui a changé de vote pour donner une chance à Macron".

"Il faut que les règle du jeu soient réécrites par le peuple"

"Pour nous, la Ve République est malade de sa non représentativité et le symptôme c'est abstention", constate Charlotte Girard, par ailleurs maîtresse de conférences de droit public à l'université de Paris-Ouest Nanterre et spécialiste du droit constitutionnel."Elle ne parvient plus à représenter le peuple, que ce soit qualitativement ou quantitativement", diagnostique la co-responsable du programme de la France insoumise.

.@charligarotte "On assiste à une fatigue démocratique, en raison du dégout de l'offre politique" #Legislatives2017 #circo9110

— Essonne Insoumise (@CGirard2017) 12 juin 2017

Un des axes majeurs du programme "l'Avenir en commun" est le changement de Constitution française pour passer à une VIe République. "Les gens qui se sentent abandonnés ont le réflexe d'abandonner leur droit à la représentation et l'abstention se renforce", explique Charlotte Girard.

Pour rétablir le sentiment de représentation, "Il faut que les règles du jeu soient réécrites par le peuple', assène la porte-parole de la France Insoumise. Et cela serait passé par une assemblée constituante dont les membres auraient été choisis par un cocktail de proportionnelle et de tirage au sort.

Proportionnelle avec prime majoritaire

"Aujourd'hui, le troisième tour se fait dans la rue avec les syndicats, des manifestations…", s'inquiète Julien Sanchez. "Comment expliquer que M. Mélenchon qui a fait 19 % n'aura peut-être demain que 10 députés ? Comment expliquer que Marine Le Pen qui a fait 22 % n'aura peut-être demain qu'une dizaine de députés aussi ?

Si le constat est le même, la solution proposée par le FN diffère radicalement. Moins révolutionnaire que la proposition de la France insoumise, le parti d'extrême droite propose un simple changement du mode de scrutin vers un scrutin proportionnel avec prime majoritaire.

"Nous somme pour un scrutin de liste nationale à 300 noms", explique Julien Sanchez. "Trois cents car nous souhaitons baisser le nombre de députés. National car les députés sont ceux de la Nation et il faut sortir de la logique de circonscription locale."

"Et pour que se dégage une majorité stable, il y aurait une prime majoritaire au parti gagnant", veut rassurer le cadre frontiste. En clair, le parti dont la liste arriverait en tête gagnerait un pourcentage fixe de députés supplémentaires, à l'instar de ce qu'il se fait aux municipales où la liste en tête obtient 50 % des sièges au conseil.

Il n'est pas étonnant de voir le FN favorable à l'introduction de la proportionnelle. Historiquement, le seul précédent de la Ve République lui avait plutôt bien réussi. Lors des législatives de 1986, avec la règle du scrutin proportionnelle départementale, le FN avait pu envoyer le record historique de 35 députés à l'Assemblée nationale. À l'époque, François Mitterrand avait changé le mode de scrutin pour limiter la victoire de la droite qui s'annonçait écrasante. Un pari réussi d'ailleurs puisque le RPR et ses alliés n'avaient gagné que d'une courte majorité grâce à la manœuvre. Chirac était revenu sur la réforme en 1987.

"On demande aux députés de se faire hara-kiri"

"La revendication de la proportionnelle vient toujours des minorités", confirme Christian Delporte. Et avec la défaite annoncé des Républicains et du PS, peut-on imaginer les anciens deux grands partis de la vie politique se convertir aux vertus de la proportionnelle ?

"C'est déjà dans l'ADN du parti socialiste. Benoît Hamon voulait le porter dans sa campagne présidentielle. Mais ça l'est moins pour Les Républicains. Ils sont fidèles à la liturgie gaulliste qui soumet le Parlement au président. L'UDI y est favorable mais le cœur des Républicains non", explique l'historien.

Si Édouard Philippe a confirmé, le 13 juin, que la promesse d'Emmanuel Macron était toujours à l'ordre du jour, Franceinfo a révélé que ce projet avait été repoussé par le gouvernement à 2018 en raison d'un calendrier de réformes déjà chargé, notamment par celles sur le droit du travail.

Par le passé, Nicolas Sarkozy et François Hollande s'étaient également engagés à introduire une dose de proportionnelle. Une promesse brisée dans les deux cas. Un comportement qui n'a rien de très étonnant, selon Christian Delporte : "Quand on a une majorité absolue, on n'a pas envie de la voir fondre. Sauf si on passe par un référendum, cela veut dire que les parlementaires votent pour une réduction de leur propre majorité. On leur demande de se faire hara-kiri. Il faut une certaine conviction."

Messieurs de LR et du PS, si ce mode de scrutin ne vous plait pas... vous aviez 60 ans pour le changer ! pic.twitter.com/beuHP3uhms

— Macron PR (@TeamMacronPR) 12 juin 2017

"Mais Emmanuel Macron va peut-être vouloir jouer sur sa fibre pro-europe et corriger l'incongruité française qui est aujourd'hui le seul pays de l'Union européenne à ne pas procéder par la proportionnelle", veut croire Olivier Ihl.

D'autres manières de repenser le scrutin ?

Certains analystes réclament à défaut d'une proportionnelle, une fusion des législatives et de la présidentielle. Ces deux scrutins seraient menés le même jour : "C'est une piste mais ça pose d'autres problèmes", analyse Olivier Ihl. "Les débats ne sont pas du tout les mêmes. Il y aurait un problème de séquençage. De plus, tenir les élections législatives le même jour serait encore plus inféodées celles-ci à la présidentielle. On présidentialiserait un régime qui l'est déjà beaucoup trop au goût de certains."

Souvent dépeint en briseur de conventions et de codes, le président Emmanuel Macron aura-t-il l'audace d'être celui qui déprésidentialisera la Ve République en redonnant une certaine autonomie au Parlement ? Ses premiers pas permettent d'en douter. Mais entre la recomposition des partis à droite et à gauche et l'engagement historique de son allié le MoDem en faveur de la parlementarisation, le nouveau président pourrait ne pas avoir le choix.