Alors que le siège de Raqqa vient de commencer, les accrochages se multiplient dans le sud-est de la Syrie entre forces loyalistes et rebelles soutenus par les Américains, qui craignent la mise en place d'un "axe chiite" dans la région.
Kobané, Mossoul, et maintenant Raqqa… À mesure que l’organisation État islamique (EI) perd du terrain sur tous les fronts en Syrie et en Irak, experts et observateurs militaires commencent à envisager la suite des opérations. Le conflit en Syrie, qui dure depuis 2011, n'est pas près de connaître une baisse d'intensité. Le long de la frontière irakienne, les grandes puissances belligérantes ont entamé une course contre la montre pour s’assurer le contrôle des territoires à mesure qu’ils sont repris à l'EI.
Deir ez-Zor, le prochain siège
C’est sur le front de l’Est que la bataille s'est déplacée. Après sa victoire à Alep et le cessez-le-feu à l’Ouest, dans la province d’Idleb, l’armée loyaliste, soutenue par la Russie, l’Iran et le Hezbollah libanais, se déploie dans ces plaines désertiques riches en hydrocarbures. Elle a enregistré une nouvelle victoire contre l’EI à Palmyre, début mars, et pousse depuis vers Deir ez-Zor, place forte des jihadistes dans la vallée de l’Euphrate, où une dernière garnison loyaliste résiste encore.
Al-Tanaf au cœur de la rivalité entre États-Unis et Syrie
Plus au sud, l’armée syrienne, appuyée par des milices chiites, pousse depuis Damas et le massif du djebel druze, le long de la frontière jordanienne, dans la région de la Badia, contrôlée par l’Armée syrienne libre (ASL). Direction : le poste-frontière stratégique d’Al-Tanaf, à 250 km de Damas, conquis par les rebelles en mars 2016. Là, les Américains et les Britanniques disposent d’une base pour leurs forces spéciales, et entraînent les combattants de l’ASL. Autour d’Al-Tanaf, la coalition a institué une "zone de désescalade" d’un rayon de 55 kilomètres, prévue par l’accord d’Astana du 4 mai.
Une zone où sont entrés les forces prorégime le 18 mai, repoussées immédiatement par une frappe aérienne américaine qui, selon le géographe spécialiste de la Syrie Fabrice Balanche, constitue un "tournant décisif dans la guerre". Le 6 juin, la coalition bombarde à nouveau un groupe d’une soixantaine d’hommes "bien avancés" à l’intérieur de la zone. "La coalition ne cherche pas à combattre le régime syrien ou les forces prorégime, mais nous restons prêts à nous défendre contre toute menace", déclare alors le colonel Ryan Dillon, porte-parole militaire de l'alliance menée par les États-Unis. Selon le secrétaire américain à la Défense, Jim Mattis, ces forces prorégime sont sans doute "dirigées par l'Iran".
L'"axe chiite" iranien dans le viseur de Washington
Plus qu'une base d’opérations avancée, la zone d’Al-Tanaf est un carrefour crucial pour Washington, qui craint l'établissement d'un "axe chiite" allant de l’Iran à la Méditerranée, à travers l’Irak, la Syrie, jusqu’au sud du Liban contrôlé par le Hezbollah. C’est aussi un secteur important pour le régime syrien, qui entend contrôler l'autoroute Damas-Bagdad et ainsi faire à la fois la liaison avec les forces alliées se trouvant en Irak, et empêcher les rebelles pro-occidentaux de remonter par le sud, vers la province de Damas.
Rivalités dans la vallée de l'Euphrate
Dans le même temps, à la faveur du déclin de l’EI, les rebelles basés à Al-Tanaf comptent eux aussi pousser à l’Est, selon les observateurs, vers la vallée de l’Euphrate et la ville d’Abukamal. De quoi mettre en péril la reconquête de Deir ez-Zor et sa région par l’armée syrienne, qui prévoit de faire la jonction avec les Forces de mobilisation populaire, des milices chiites irakiennes alliées, en route depuis le sud de Sinjar et proches de la frontière syrienne. L'offensive de Mossoul terminée, ces milices encadrées par l'Iran entreraient donc sur le territoire syrien à la faveur de la lutte contre l'EI.
La base d'al-#Tanef devient un enjeu international : un Fachoda du XXIeme siècle https://t.co/Smznk2FsbI
— Balanche (@FabriceBalanche) 1 juin 2017