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Législatives au Royaume-Uni : Theresa May a-t-elle joué avec le feu ?

Theresa May pensait renforcer la mainmise des conservateurs sur le Parlement après les législatives anticipées. Mais c'est une victoire à la Pyrrhus qui attend peut-être la Première ministre britannique...

La dernière fois que des législatives anticipées se sont tenues au Royaume-Uni, le Premier ministre sortant d’alors, le conservateur Edward Heath, avait fait campagne sur le slogan : "Qui gouverne la Grande-Bretagne ?" C’était en 1974 et la formule sonnait comme un défi lancé aux très puissants syndicats de l’époque. Seulement voilà, le jour du scrutin venu, les électeurs avaient répondu : "Pas toi, Edward".

Quatre décennies plus tard, les élections anticipées auxquelles les Britanniques sont appelés à participer, jeudi 8 juin, revêtent des enjeux quasi similaires. En 1974, le Royaume-Uni venait de rejoindre l'Union européenne (UE) ; aujourd’hui, elle essaie d’en sortir. Edward Heath martelait que le pays avait besoin d'un "gouvernement fort" pour peser face au continent ; Theresa May, la Première ministre actuelle, répète à l’envi que seule une majorité conservatrice "forte et stable" permettra de bien négocier le virage à 180 degrés du Brexit. Les électeurs de 2017 vont-ils pour autant faire comme ceux de 1974 : sortir la sortante ?

Ironie

Lorsque Theresa May a convoqué des élections anticipées, l’opposition travailliste était tellement affaiblie par ses dissensions internes que les conservateurs pensaient pouvoir porter leur majorité à plus de 100 députés, dans une Chambre des communes qui compte 650 sièges. De quoi effectivement arracher un bon accord sur le Brexit...

Mais en quatre semaines, l’avance des Tories s’est évaporée dans les sondages, au point de voir les travaillistes les talonner. La victoire conservatrice s’annonce si mince que certains prévoient un Parlement sans réelle majorité. On mesure ici toute l’ironie de l’opération : conçue à l’origine pour renforcer la légitimité d’un gouvernement appelé à ferrailler avec l’UE, les élections pourraient aboutir à ce travers "très continental" que les eurosceptiques ont toujours moqué : la formation d’un gouvernement de coalition. Mais comment cela a-t-il pu arriver ?

Tout d’abord parce que Theresa May a mené une bien piètre campagne, marquée par des incohérences et des volte-face – à commencer par la tenue-même de ces législatives puisqu’elle s’était engagée à ne pas convoquer d’élections anticipées. De fait, la Première ministre et son parti ont relégué le Brexit au second plan des débats en annonçant des mesures aussi impopulaires que la réhabilitation de la chasse au renard ou l’obligation faite aux personnes âgées de contribuer financièrement à leurs propres soins. Son refus de débattre publiquement avec ses adversaires, au premier rang desquels le chef des travaillistes, Jeremy Corbyn, n’a sûrement pas contribué à faire passer la cheffe du gouvernement pour une dirigeante prête à assumer ses responsabilités.

Le contexte international n'a pas non joué en sa faveur. Ses appels du pied en direction des États-Unis lui ont valu d’être qualifiée de "caniche de Donald Trump". Ceci à un moment où le président américain s’est mis quasiment la Terre entière à dos, en annonçant son retrait de l'accord de Paris sur le climat ou en interpellant, via Twitter, le maire de Londres après l’attentat qui a frappé la capitale britannique.

Les attaques terroristes de Londres et de Manchester ont également mis en lumière le bilan contesté de Theresa May à l’Intérieur, dont elle occupa le fauteuil de ministre entre 2010 et 2016. Depuis les attentats, l’opposition se fait fort de lui rappeler qu’elle est à l’origine de la réduction des effectifs au sein de la police.

La résurrection travailliste inattendue

De fait, la mauvaise campagne des conservateurs s’est conjuguée à la résurrection inattendue du Parti travailliste, dont le programme en faveur des renationalisations, des hausses des dépenses publiques et des impôts pour les plus riches, a longtemps paru comme un frein à une éventuelle accession au pouvoir. "Beaucoup de gens craignent que le programme des travaillistes ne soit trop extrême", observe John Curtice, professeur de sciences politiques à l'Université de Strathclyde. Mais en fait, le parti est parvenu à en faire quelque chose de plus séduisant que le message austère des conservateurs.

Encore plus étonnante que la remontée du Labour : celle de son chef, Jeremy Corbyn. Il y a quelques semaines encore, ce militant pacifiste de 68 ans, incarnation de l’aile gauche du parti, était considéré comme inéligible. Contesté au sein de sa propre formation, le leader travailliste avait jusqu’alors échoué à incarner une opposition crédible et combative. Quant à la très influente presse tabloïd, elle n’a pas ménagé ses efforts pour présenter le chef de l’opposition comme "l’homme le plus dangereux du Royaume-Uni".

Législatives au Royaume-Uni : Theresa May a-t-elle joué avec le feu ?

Mais, comme ragaillardi par les critiques, le chef de l’opposition a progressivement réussi à fédérer autour de lui. "Parce que les attentes de lui étaient si faibles, beaucoup de gens ont dit : 'Allons-y, monsieur Corbyn n'est peut-être pas si mauvais, après tout', analyse John Curtice. Si bien que les électeurs qui, il y a quatre semaines, se disaient réticents à rejoindre le Parti travailliste de l’ère Corbyn ont changé d'avis."

Accusé de n’avoir défendu qu’à contre-cœur le maintien du Royaume-Uni dans l’UE lors du référendum, Jeremy Corbin a mené la campagne des législatives sur une ligne – plus claire – prônant la place de Londres dans le marché unique. Quand Theresa May semblait fuir les médias, le leader travailliste, lui, appréciait chaque instant sous les projecteurs. À chaque sortie, il s’est montré plus tranchant et plus convaincant qu’il ne l’avait jamais été depuis son accession à la tête du Labour. Lors des débats télévisés ou des meetings, Jeremy Corbyn a suscité une ferveur, là où Theresa May n’a provoqué que des haussements d'épaules. Sera-ce toutefois suffisant pour provoquer un coup de théâtre électoral ? Apprécié des jeunes, le travailliste est loin d’avoir les faveurs de l’électorat des plus de 50 ans, considéré comme le plus mobilisé. Il faudrait une participation massive parmi les jeunes électeurs, traditionnellement peu enclins à se rendre aux urnes, pour propulser Jeremy Corbyn à une victoire. Le genre de poussée improbable qui aurait évité le Brexit…

Mais alors qu’un succès conservateur reste le plus probable, tout porte à croire qu’il s’agira d’une victoire à la Pyrrhus. Car si Theresa May l’emporte, ses homologues de l'UE se souviendront qu'elle a fléchi sous la pression et s’est dérobée lorsqu’il a fallu débattre avec ses adversaires. "Forte et stable", disait-elle.