logo

Qatar vs Arabie saoudite : les raisons d'une rupture diplomatique

Deux semaines après une visite du président des États-Unis en Arabie saoudite, Riyad et ses alliés ont annoncé, lundi, avoir rompu tout lien diplomatique avec le Qatar, l’accusant de soutenir le terrorisme. Éclairage.

Coup de tonnerre au Moyen-Orient : l'Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Bahreïn, le Yémen et l'Égypte ont rompu les liens diplomatiques avec le Qatar, lundi 5 juin. Officiellement, Riyad et ses alliés accusent Doha de soutenir le "terrorisme" et de déstabiliser la région. "Prétexte", répond Karim Sader, politologue et maître de conférences à l’Université Saint-Joseph de Beyrouth. Selon le consultant spécialisé dans les pays du Golfe, "l’Arabie saoudite porte une accusation floue contre le Qatar, qui cache en définitive de nombreuses divergences politiques et économiques". Et les sujets de tension ne manquent pas entre ces deux pays du Golfe.

Les relations avec l'Iran

À commencer par l’Iran, véritable pomme de discorde entre les deux capitales. Adepte d’une diplomatie du grand écart, le Qatar a toujours su entretenir de bonnes relations avec l’Iran, au grand dam de l’Arabie saoudite, dont Téhéran est la bête noire. Il faut dire que le minuscule État n’a aucun intérêt à se brouiller avec l'Iran puisqu’ils ont des intérêts financiers communs : le gaz. Les deux États sont en effet les heureux propriétaires du plus gros gisement offshore de gaz naturel au monde, le South Pars / North Dome, situé à cheval entre les eaux territoriales de l'Iran et du Qatar. Une manne financière colossale qui a rapidement su mettre la petite monarchie sunnite et la république islamique chiite d’accord.

Mais le récent voyage de Donald Trump en Arabie saoudite, le 20 mai dernier, a plus que jamais ravivé les tensions autour de l’Iran. Dans son discours, le président américain a désigné un nouvel "axe du mal", composé de l’Iran et de l’organisation État islamique, mettant le Qatar au ban du Golfe arabo-persique. "En replaçant l’Iran au centre du jeu, Trump a signé à l’Arabie saoudite un blanc-seing qu’elle n’avait pas sous Obama, note Karim Sader. Dès lors, il semble que Riyad utilise cette carte blanche américaine pour mettre la pression sur le petit pays de la péninsule dans le but de le forcer à clarifier sa position vis-à-vis de Téhéran".

Le soutien aux Frères musulmans

La confrérie des Frères musulmans se trouve régulièrement au cœur des crispations. La dernière crise ouverte dans le Golfe remonte à 2014, quand l'Arabie saoudite, le Bahreïn et les Émirats avaient alors rappelé leur ambassadeur à Doha pour protester contre le soutien présumé du Qatar vis-à-vis des Frères musulmans. L'Émirat est considéré comme l'un des principaux bailleurs de fonds des Frères musulmans égyptiens et des groupes proches de cette confrérie dans les pays du "printemps arabe", alors que l'Arabie saoudite et les autres monarchies du Golfe soutiennent les militaires égyptiens.

Depuis toujours, les Saoudiens nourrissent une haine viscérale vis-à-vis de la confrérie pour des raisons historiques et idéologiques. "La doctrine des Frères musulmans, très éloignée du wahhabisme, prône notamment une participation au pouvoir que les Saoudiens ne peuvent pas concevoir, explique Karim Sader. En ce sens, le salafisme, qui rejette tout idée d’une éventuelle participation au pouvoir, correspond beaucoup plus aux aspirations des Saoudiens".

L'influence d'Al Jazeera

La chaîne de télévision qatarie Al Jazeera est également au centre des tensions entre les diplomaties du Golfe. Depuis le début des printemps arabes, Riyad accuse Doha d'influencer, via son bras médiatique, les percées politiques des Frères musulmans en Tunisie, en Libye et en Égypte. L'Arabie saoudite a d'ailleurs fermé lundi les bureaux d'Al Jazeera dans le pays et lui a retiré sa licence, accusant la chaîne de se montrer trop critique envers son gouvernement.

Enfin, de manière plus générale, le Qatar s'est toujours distingué des autres pays du Golfe sur les relations avec les pays occidentaux et notamment sur la question de la Syrie. Le petit émirat a notamment signé un important accord économique et stratégique avec la Russie portant sur la Syrie, tandis que l'Arabie saoudite a toujours soutenu les États-Unis.

Vers de nouveaux compromis ?

Face à la rupture orchestrée par Riyad, le Qatar a dénoncé une décision "injustifiée" et "sans fondement", prise "en coordination avec l'Égypte" et qui a un "objectif clair : placer le pays sous tutelle, ce qui marque une violation de sa souveraineté" et est "totalement inacceptable", a affirmé le ministère des Affaires étrangères à Doha.

Pour l’heure, les observateurs ne savent pas comment le Qatar va sortir de cette impasse. "Jusqu’à maintenant, le richissime État a toujours su se sortir des situations délicates en faisant des compromissions, analyse Karim Sader. S’il est encore trop tôt pour imaginer la suite, on sait néanmoins que ce pays est capable de faire des gestes pour montrer que sa position peut changer."